14- "La neige, je n'aime pas ça." 1/2

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« La neige, je n'aime pas ça. C'est comme de l'eau, en plus collant. »
Kaolan, homme-félin délicat.


Durant les quelques jours nécessaires pour traverser les Dômes, Saï avait vu avec appréhension les pics imposants de la Grande Barrière se rapprocher, tandis que la température avait chuté encore davantage. Et lorsqu'ils étaient arrivés aux abords du dernier village avant les montagnes, les premières neiges étaient tombées. La neige était rare sur Derusto'th et la jeune fille aurait pu s'en émerveiller, si les innocents flocons que saupoudrait le ciel n'avaient porté en eux les menaces d'engelures futures, de verglas et de nuits glaciales.

– Le moment idéal pour aller se perdre en montagne, avait commenté Razilda, alors que la neige déposait des gouttes scintillantes sur ses cheveux noirs.

Au village, Saï avait accompagné Eliz, pour compléter leurs provisions et acheter du matériel. Elles y avaient également laissé les chevaux en pension dans l'unique auberge. Le patron avait été ravi de pouvoir empocher l'équivalent d'un mois de revenu sans remplir une seule de ses chambres, au demeurant vides en cette saison. En discutant avec lui, Eliz avait appris que les Sulnites n'étaient jamais venus jusqu'ici. Ce qui confirmait les informations de Shalim. Il n'y avait plus qu'à espérer que leur désintérêt pour la région durerait.

Et maintenant, après en avoir tant parlé, ils se trouvaient réellement dans les montagnes, de la neige jusqu'aux chevilles, à suivre une piste qui n'existait peut-être que dans l'imagination d'Eliz. À la grande satisfaction de Saï, Kaolan avait fini par enfiler les bottes en fourrures qu'elle lui avait achetées à Hasselbrück. Mais il en avait coupé le bout pour laisser dépasser ses griffes, et ne pas « aveugler ses pieds », selon ses dires. Cela avait bien fait un peu mal au cœur à la jeune fille, mais elle voulait bien fermer les yeux sur cette excentricité.

Pour encourager ses compagnons, Eliz leur rapporta les informations qu'elle avait glanées au cours de ses discussions avec les villageois. Le lac dans le cratère du volcan leur était bien connu. Dans l'ancien temps, aller passer une nuit sur ses berges était un rituel de passage à l'âge adulte. Savoir se débrouiller dans les montagnes était nécessaire, et même vital pour les habitants de la région. Aussi existait-il une piste menant vers le lac, qui avait été empruntée par tous les jeunes gens durant leur épreuve. Eliz avait conclut que l'ascension était largement réalisable et que les traces de passages ne manqueraient pas. Moins optimiste, Kaolan fit remarquer que les villageois n'envoyaient certainement pas leurs enfants au sommet du pic en plein hiver, à moins d'avoir besoin de se débarrasser de bouches à nourrir en trop. Razilda renchérit en soulignant qu'il y avait peut-être des explications à la disparition du rituel. Des explications auxquelles ils auraient dû s'intéresser.

Malgré leur pessimisme, le début du voyage semblait donner raison à Eliz. Le chemin qu'ils suivaient serpentait entre les rochers, montant modérément vers les hauteurs. Des buissons d'épineux dardaient vers eux leurs branches nues à travers la neige. Prudente, la Rivenz, en tête du groupe, sondait la couche blanche qui craquait sous leurs pas de son bâton de marche.

Après la pause de midi, les espoirs que Saï mettait en une ascension tranquille furent réduits en miettes. À leur gauche, la paroi rocheuse s'éleva soudain en une falaise escarpée. Quant à celle de droite, elle disparut tout bonnement, avalée dans l'abîme que suivait désormais le sentier. Le vent forcit, hurlant dans les gorges encaissées et bientôt chacun rabattit son capuchon pour se préserver de ses doigts glacés. La piste n'était guère large, elle ne permettait plus à deux personnes de marcher de front. Ici, la neige était peu épaisse, mais traître et glissante. À la demande d'Eliz, qui s'inquiétait de ne pas pouvoir protéger tout le monde en même temps, ils s'arrêtèrent pour s'encorder les uns aux autres, avant de reprendre leur marche. Tempête qui jusque-là voletait autour d'eux pour ne pas se mouiller les pattes dans la neige, finit par se poser à l'arrière. Voler dans ce vent glacial était par trop désagréable.

Poussières de TerresWhere stories live. Discover now