1- Le jour où toute ma vie a changé ! 1/3

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"Évidemment que je m'en souviens, c'est le jour où toute ma vie a changé !"
Saï Kaneda, affublée de quatre frères.


Si seulement j'étais un garçon, songea Saï pour la millième fois en essuyant le nez morveux de son frère. Si c'était le cas, personne ne s'attendrait à ce que la gestion des fluides qui sortaient continuellement de son petit corps lui revînt naturellement.

Non content d'être un petit monstre dégoûtant, il était également affligé d'une maladresse exaspérante. Comme pour donner raison à sa sœur, l'enfant lâcha soudain la cuillère de purée de légumes avec laquelle il visait sa bouche. Elle tomba sur le tatami de paille, maculant tout ce qui se trouvait sur son passage. Il hurla sa frustration de toute la force de ses poumons.

– Tais-toi, tais-toi, tais-toi ! supplia Saï, excédée.

Mais impossible de le calmer. Voyant qu'elle était impuissante, celle-ci se résigna à l'inéluctable. Qui ne tarda pas à se produire.

La porte de la pièce coulissa sans ménagement, livrant passage à un jeune homme de forte stature.

– C'est pas un peu fini ce boucan ! dit-il avec colère. Ceux qui travaillent dans cette maison aimeraient bien profiter du moment du repas pour se reposer ! Y'a pas à dire, tu ne sais vraiment pas t'occuper de ce gosse, ma pauvre.

Et sur cette véhémente tirade, il tourna les talons et referma la porte avec autant de délicatesse qu'il l'avait ouverte.

Laissée sans possibilité de réponse, la jeune fille tira une langue vengeresse à la porte. Stupide, stupide grand frère, vas-y, retourne à ta sieste ! Elle grogna quelques imprécations bien senties sur la capacité de Kento à comprendre l'éducation des enfants en particulier, et quoi que ce soit qui n'ait pas trait à l'élevage des bêtes et au travail des champs en général. Il n'était guère étonnant qu'aucun griffon n'eût voulu se lier avec un grincheux pareil.

Saï avait parfois la sensation d'étouffer entre ces murs. Elle en avait plus qu'assez d'être considérée comme la servante de la maison. Elle se demandait souvent comment sa mère pouvait supporter cela depuis si longtemps. Cinq hommes à la maison... cela en faisait une somme considérable de travail ! Évidemment, elle l'aidait du mieux qu'elle pouvait ; elle ne faisait même que cela, en y pensant. À seize ans, elle se trouvait coincée entre l'autorité de ses deux frères aînés et la tyrannie enfantine des deux plus jeunes. Le mariage était la seule issue hors de la demeure familiale. Pour certainement retrouver la même chose chez son mari. Cela ne la faisait pas vraiment rêver.

Bientôt, la maison se vida de nouveau. Kento et Tensuke étaient partis avec leur père pour vendanger les quelques acres de vignes qu'ils possédaient. Ryuji avait repris le chemin de l'école et le petit Lon avait enfin décidé de s'endormir. C'était l'heure où l'on pouvait enfin vaquer à ses occupations sans être sans cesse dérangée.

– Saï ! Il faudrait que tu ailles à la ville faire quelques courses ! appela sa mère qui portait un panier de linge plus haut qu'elle. Il n'y a plus de fruits, le riz et les haricots rouges ne vont pas tarder à manquer... et il va me falloir du tissu pour habiller Ryuji. Il grandit à une allure...

La jeune fille acquiesça vivement, elle savait parfaitement ce qui manquait dans cette maison, l'état des stocks du garde-manger ayant été fait minutieusement le matin même. Et pour tout ce qui concernait des domaines moins féminins que la cuisine, ses frères s'étaient fait un plaisir de le lui signaler.

Avec son haut toit de chaume, ses murs de bois quadrillés et ses deux vastes ailes, la ferme familiale était coquette et assez grande pour abriter tous ses occupants sans qu'ils soient entassés les uns sur les autres.

Poussières de TerresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant