9- "Une nouvelle dont je me serais bien passée." 2/3

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Ce ne fut qu'un peu plus tard dans les rues du quartier des artisans que Razilda se rendit compte que sa main était toujours crispée sur son fourreau. Elle était adulte, sa vie était construite, une telle révélation ne devrait pas la perturber autant. Mais l'apprendre d'une telle façon, et par des étrangers, faisait bouillir son sang d'une rage noire. Elle devait aller voir ses parents tout de suite et cela n'aurait rien d'une visite de courtoisie.

Razilda remonta jusqu'aux hauts quartiers, traversant à nouveau la ville en sens inverse et les multiples enceintes qui séparaient les différents secteurs de Jultéca entre eux. Le quartier où vivait l'élite s'étalait autour de l'immense palais impérial et de ses tours pyramidales.

Ici tout était démesuré. Les rues larges et ombragées offraient un contraste frappant avec les autres quartiers. La plupart des résidences étaient ceintes de hauts murs derrière lesquels se dissimulaient des jardins d'agrément. Espèces rares, disposition soignée, systèmes hydrauliques innovants, ils recelaient des trésors qui permettaient aux maîtres de maison d'étaler aux yeux des invités leur richesse et leur bon goût.

Razilda arriva devant la résidence des Grisval hors d'haleine, les mâchoires toujours crispées de colère contenue. La demeure de ses parents était une des plus belles du quartier de la noblesse. Ce qui n'était guère étonnant puisque la famille de Grisval s'enorgueillissait d'appartenir au cercle des intimes de l'empereur depuis plusieurs générations.

Un serviteur l'introduisit sans la faire attendre. Lorsque Razilda entra dans le grand salon, sa mère s'y trouvait déjà. Elle portait une robe gris perle à col montant, assez simple au vu de son rang. Seuls quelques bouillons de dentelles venaient agrémenter ses manches et son col. Sa lourde chevelure noire qu'elle portait en un chignon sévère était maintenant largement striée de gris. Avec un nœud à l'estomac, Razilda songea brusquement qu'elle avait toujours pensé tenir ses cheveux de sa mère.

La duchesse l'accueillit avec un sourire.

– Ma chérie, que nous vaut le plaisir de cette visite impromptue ? dit-elle.

Mais voyant l'expression sur le visage de sa fille, elle comprit qu'il ne serait point question de plaisir. A gestes mesurés, elle referma le livre qu'elle lisait avant son entrée et le posa sur un petit guéridon en acajou, puis se leva, les sourcils froncés.

Razilda traversa le salon à grands pas et se pencha vers sa mère pour lui déposer un baiser sur la joue.

– Bonjour, mère, dit-elle.

Puis elle recula d'un pas et ajouta :

– Enfin, si je peux encore vous appeler ainsi...

Le visage de la duchesse de Grisval perdit aussitôt toute couleur. Elle leva une main crispée contre sa poitrine.

– Miséricorde, cela devait finir par arriver, murmura-t-elle en s'appuyant lourdement sur le dossier de la chaise qu'elle venait de quitter. Comment l'as-tu appris ?

Ce fut à cet instant que le duc apparut sur le seuil du salon. Toujours d'une élégance irréprochable, il portait un costume trois pièces bordeaux et une large cravate grise, de la même teinte que la robe de son épouse. Son visage s'ornait d'un bouc poivre et sel impeccablement taillé sans lequel Razilda ne se souvenait pas l'avoir vu et qui datait de l'époque où le jeune duc de Grisval donnait les tendances vestimentaires à la cour impériale. Il salua sa fille avec chaleur mais fut interrompu par sa femme.

– Elle sait, dit-elle en posant sa main sur son bras.

Le duc blêmit.

– Comment ? demanda-t-il à son tour.

Poussières de TerresWhere stories live. Discover now