14- "Sans avoir le mal de mer !" 1/2

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« Et tout ça, sans avoir lemal de mer ! »
Yerón, sujet au mal des transports.


Comme tous les jours, accroupi sur la plate-forme d'entretien du ballon, Kaolan fixait l'horizon. Peut-être espérait-il ainsi accélérer l'apparition de leur destination ? La monotonie de la mer qui s'étalait jusqu'à l'horizon était rompue de temps en temps par des chapelets d'îles qui s'égrenait au loin. Leur trajectoire avait sans doute été calculée pour les éviter au maximum.

Aujourd'hui, il était inquiet. Depuis leur départ, la traversée s'était déroulée dans des conditions quasiment idylliques. Mais ce matin, les nuages avaient commencé à s'amonceler à l'horizon, et ils fonçaient droit dessus. En outre, le vent avait commencé à forcir, et ce n'était pas bon signe.

Kaolan soupira. D'après le vieil humain, ils avaient déjà parcouru plus de la moitié de la distance entre les deux îles. L'arrivée serait un soulagement. La peur avait beau l'avoir quitté, il n'en appréciait pas le voyage pour autant. Outre la mer et le vol, il trouvait la promiscuité sur le vaisseau assez dérangeante. À part à son poste d'observation, il était rare qu'il pût se retrouver seul, que ce soit sur le pont, dans les cabines ou dans la cuisine.

C'était d'ailleurs dans la cuisine que Lyssa était arrivée plusieurs fois à le coincer, à sa grande incompréhension. Soi-disant pour discuter avec lui. Elle lui posait des questions avec une avidité qui le mettait encore plus mal à l'aise que l'hostilité déclarée de Saï. Avec Eliz, tout était plus simple, elle ne le regardait ni comme un monstre ennemi, ni comme une curiosité exotique. La rivenz se comportait avec lui comme elle se comportait avec les autres. Et cela changeait tout. Ce n'était pas tout à fait le cas de Yerón, par exemple. Le comportement du jeune homme ne manquait jamais de l'embarrasser. Lui aussi avait de la curiosité à son égard, mais les quelques questions qu'il avait tenté de lui poser s'étaient heurtées à un mur de mutisme et de mauvaise volonté. Il n'avait pas insisté mais il tentait de temps à autre des approches amicales auxquelles Kaolan ignorait comment réagir. Quant à Razilda, la femme ne lui inspirait que de la méfiance. Les raisons de sa présence lui paraissaient nébuleuses, cependant il n'avait pas vraiment envie d'en savoir plus. À condition que celle-ci ne menace pas le reste du clan.

Cette pensée s'imposa avec tant de force dans son esprit qu'il fut obligé de s'y arrêter. Cela signifiait-il qu'il considérait les autres comme faisant partie de son clan ? Même... Saï ? Kaolan inspira bruyamment et se frotta l'oreille droite avec rage. Ce voyage lui chamboulait complètement l'esprit. Jamais il n'avait eu autant besoin de parler avec quelqu'un de son espèce.

Ses réflexions prenaient un tour fort déplaisant lorsque ses yeux le ramenèrent soudain à la réalité immédiate. Au loin, sur les vagues qui dansaient de plus en plus fort, il aperçut une traînée de masses sombres, comme des débris, peut-être.

Lyssa était aux commandes de l'aéronef depuis le matin. Elle avait remplacé Eliz qui était descendue dormir. Elle se sentait bien derrière la grande roue en bois ciré que son père avait voulu à la ressemblance d'un gouvernail de bateau. Les leviers en laiton brillaient de manière rassurante et la proclamaient maîtresse de l'appareil. Sa sensation de maîtrise faillit voler en éclat quand elle vit apparaître la tête de Kaolan à l'envers en haut des larges vitres du poste de pilotage. L'homme-félin parlait, la main tendue vers un point sur la mer.

Étrécissant les yeux dans la direction indiquée, elle finit par distinguer des taches flottant sur les vagues. La jeune fille ouvrit le pavillon en cuivre qui permettait de communiquer avec l'étage inférieur.

– P'pa ! appela-t-elle. Monsieur Matou a repéré des débris sur la mer, tu peux monter, s'il te plaît, pour voir si on s'approche ?

Lorsqu'Ornwell monta sur le pont, tous les passagers éveillés du vaisseau se pressaient contre le bastingage pour voir la seule chose qui avait rompu la monotonie du voyage depuis leur départ de Jultéca.

Poussières de TerresWhere stories live. Discover now