11- "Faire le marché, c'est un truc d'humain." 1/2

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"Faire le marché, j'ai pas aimé ça. Trop de monde. C'est un truc d'humain."
Kaolan, homme-félin expatrié.


Saï était assise seule à une table de l'auberge, installée près d'une fenêtre. Elle venait d'engloutir une demi-miche de pain accompagnée d'une pinte de lait de chèvre. Il lui fallait bien tout cela pour commencer une journée. Elle aurait certes préféré un bon bol de riz, comme ce qu'elle mangeait sur Derusto'th au petit déjeuner, mais il ne s'agissait pas d'un aliment que les jultèques semblaient connaître.

Les yeux dans le vague, elle essayait d'imaginer à quoi ressemblait la machine volante. C'était aujourd'hui qu'ils allaient la voir ! Perdue entre rêverie et goinfrerie, la jeune fille ne s'était pas rendue compte que ses compagnons avaient déjà regagné leurs chambres.

Heureusement quelqu'un se chargea aimablement de le lui rappeler.

– Saï ! Dépêche-toi ! On t'attend, y'a du boulot !

Eliz venait d'apparaître dans les escaliers, et après avoir jeté ses ordres sans ménagement, elle disparut sans attendre la réaction de la jeune fille. Saï sursauta violemment, comme prise en faute.

– Oui... oui ! J'arrive tout de suite ! balbutia-t-elle avec empressement.

Alors qu'elle se hâtait vers les escaliers, un client la bouscula légèrement.

"Nous allons vous sortir de là", entendit-elle murmurer. Surprise, elle se retourna pour voir une silhouette quitter l'auberge. Il lui sembla reconnaître le gentilhomme qui l'avait abordé au début de leur séjour et que Kaolan avait rudement repoussé. Ce devait être un habitué des lieux car elle l'avait déjà aperçu plusieurs fois au moment des repas, seul ou accompagné. Elle comprit qu'elle avait entendu une bribe de conversation qui ne lui était pas destinée, et l'oublia rapidement.

A peine eut-elle poussé la porte de sa chambre qu'Eliz lui fourra un bout de papier entre les mains. Baissant les yeux, elle constata qu'il s'agissait d'une liste de courses, et que chacun de ses compagnons en tenait une semblable. Kaolan tripotait nerveusement la sienne, il avait l'air aux abois.

– Je ne peux pas le faire, finit-il par dire au prix d'un énorme effort sur lui-même. C'est... bien trop difficile.

Yerón rit.

– Tu es capable de combattre un assassin, de le poursuivre de nuit sur les toits, mais tu trouves que faire les courses est trop difficile ?

Kaolan ne goûta pas la plaisanterie. Son visage se ferma encore davantage.

– Ce n'était pas sur les toits, corrigea-t-il froidement.

– Considère ça comme un entraînement, intervint Eliz. Tu ne peux pas rester caché tout le temps et nous laisser faire tout le boulot. Tu n'es plus sur Derusto'th.

Kaolan ne semblait pas convaincu, et il n'était visiblement pas le seul. Il y avait effectivement peu de raisons que les jultèques se montrent particulièrement amicaux avec des étrangers. Surtout des étrangers affichant leur étrangeté de manière aussi scandaleusement évidente. Mais Eliz ne voulut pas en démordre. Kaolan devait franchir le pas des interactions sociales.

Lorsqu'ils quittèrent enfin l'auberge, Yerón se pencha vers le jeune homme-félin et lui murmura :

– Montre tout de suite que tu as de l'argent. C'est le meilleur moyen d'être bien accueilli. La politesse et l'amabilité ne viennent que bien après, conclut-il avec son franc sourire et un clin d'œil, comme pour se faire pardonner sa plaisanterie mal placée un peu plus tôt.

Kaolan hocha gravement la tête. Cela le mettait toujours mal à l'aise lorsque Yerón agissait comme s'ils étaient amis. Aux dernières nouvelles, ce n'était pas le cas, n'est-ce pas ?

Poussières de TerresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant