1- "Le jour où toute ma vie a changé !" 3/3

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Saï sortit en courant de la maison, le corps secoué de sanglots. Son ami Trilyu venait de passer chez eux avec une funeste nouvelle. Yoji, le frère de sa mère, le jeune oncle qu'elle adorait, avait été sauvagement assassiné par les monstres de la forêt, ces hommes-bêtes à la cruauté barbare. Pour cacher sa douleur, elle fuyait sa famille devant laquelle elle n'aurait pu l'exprimer à sa réelle mesure.

Elle courut au hasard, là où ses pas la portaient. Les yeux embrumés par les larmes, elle n'était absolument pas consciente de son environnement. Ses pas la menèrent à travers les champs qui s'échelonnaient en étages sur les flancs de la colline. Elle gravit sans vraiment s'en rendre compte les murets de pierre qui séparaient les céréales des vignes et les vignes des vergers. Au-dessus de sa tête, ne compatissant nullement avec sa douleur, le soleil de l'été brillait avec un éclat à peine terni par quelques nuages passagers. Bientôt les champs se raréfièrent et avec eux, toutes traces d'occupation humaine. La colline devint plateau, caillouteux et escarpé. Si elle s'était retournée vers la vallée, Saï aurait pu voir les petites formes des fermes éparpillées au milieu du camaïeu de jaunes et de verts des champs, tranché un peu plus loin par la masse sombre de Kiyokita. Mais admirer le paysage était bien le cadet de ses soucis. La jeune fille continuait à s'épuiser à marcher dans les cailloux, cherchant inconsciemment à remplacer sa souffrance morale par une douleur physique plus aisément maîtrisable.

Saï courut longtemps ainsi, tant que ses jambes purent la porter. Finalement, elle trébucha contre une pierre et tomba lourdement par terre. Là, elle resta prostrée, pleurant en silence.

Ce fut une sensation étrange qui la tira de son affliction. Une douce chaleur semblait pulser sous elle, déversant en elle des vagues apaisantes. Surprise, elle se redressa pour découvrir qu'elle s'était affalée sur un caillou parfaitement ovoïde. Saï le toucha du bout de ses doigts curieux. C'était bien de lui que venait la chaleur qu'elle avait ressentie. La surface de la pierre était granuleuse, d'une couleur à mi-chemin entre le marron, le beige et le jaune, exactement semblable en cela à tous les cailloux alentour, si ce n'était les mouchetures bleutées à peine visibles qui la parsemaient. La jeune fille prit la pierre dans ses mains pour mieux l'observer. Ce fut alors que l'inimaginable se produisit.

Une mince fissure apparut sur le sommet, qui s'élargit et se divisa jusqu'à recouvrir toute la surface de la pierre. Un éclat s'en détacha, laissant apparaître un œil brillant et un petit bec pointu. En deux mouvements précis, il brisa le restant de la partie supérieure de la coquille. Une frimousse au duvet blanc ébouriffé en émergea.

Pétrifiée, Saï ne songea même pas à aider la petite créature à sortir de son œuf. Fort heureusement, celle-ci ne semblait en avoir nul besoin. Deux petites serres apparurent à leur tour, brisant en deux le reste de la coquille. Elle livra le passage à un arrière train au pelage fauve et moucheté. Ses deux pattes arrières léonines repoussèrent impatiemment les derniers débris qui l'entravaient.

Le petit griffon dégagea ses ailes blanches et les agita furieusement, comme pour prendre la mesure de toutes les possibilités de ce corps tout neuf. Le déplacement d'air provoqué fit voleter les longs cheveux noirs de Saï devant son visage.

- Tempête, murmura-t-elle avec émerveillement.

Le petit animal ouvrit un large bec et se mit à piailler de toutes ses forces, martelant avec impatience le sol de sa longue queue.

– Douce Lilan, il a faim ! comprit-elle affolée.

Il fallait le nourrir, mais avec quoi ? La jeune fille n'avait pas la moindre idée de ce qu'un griffon pouvait bien manger, et à plus forte raison un nouveau-né. Alors, sans réfléchir ; elle eut le geste simple et stupide d'offrir la seule chose qu'elle avait à disposition. Elle tendit son doigt.

Poussières de TerresWhere stories live. Discover now