3- "Une mission un peu trop simple." 3/3

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Si les îles principales du monde connu s'étaient souvent heurtées par le passé, la principale raison tenait à leur position géographique et à leur relative proximité. Elles se répartissaient tout autour d'une vaste mer intérieure. Au nord, la froide Pwynyth' était la contrée des pouvoirs aléatoires ; Jezzera'th la désertique occupait le sud, Jultéca'th s'étendait à l'ouest, et aurait volontiers empiété sur ses voisines, tandis que Riven'th et Derusto'th, l'île des griffons se partageaient l'est. De nombreux îlots existaient entre elles, souvent lieux de féroces luttes d'influence, plus ou moins armées.

Pourtant, malgré ces heurts et les désirs des dirigeants au fil des décennies, aucune des îles n'avait jamais envahi l'une de ses voisines. La raison en était simple et tenait à un obstacle majeur : la Mer Intérieure était traître et imprévisible. Une mer d'huile pouvait en quelques minutes laisser place à des vagues mauvaises puis à des tempêtes destructrices. En outre, la zone centrale était semée d'étranges formations rocheuses qui, si la mer n'avait pas été si profonde à cet endroit, auraient pu être des récifs. Il s'agissait d'amas de pierres, en forme de piliers plus ou moins trapus autour desquels les flots bouillonnaient d'écume. Jamais en mal d'imagination, les marins les avaient baptisées les Cheminées de K'ror, celles-là même qui marquaient l'entrée de son royaume souterrain. Le soir, dans les tavernes des ports, il n'était pas rare d'entendre des matelots éméchés raconter à un auditoire fasciné, comment ils les avaient vu fumer au crépuscule, et de quels monstres de cauchemar ils avaient aperçu les ombres au loin.

La plupart des bateaux, lorsque le capitaine possédait tout son bon sens, évitaient cet endroit à tout prix. Les courants y étaient imprévisibles et pouvaient à chaque instant drosser les coques contre les piliers de roche. Ce qui rallongeait de façon non négligeable les trajets d'une île à l'autre.

Tout ceci contribuait à ce que les échanges entre les îles, même guerriers, fussent réduits au strict minimum. Et rares étaient ceux qui avaient le désir de vouer leur vie à la mer.

Rallier Jultéca'th depuis Pwynyth' prenait une petite semaine selon la clémence des vents. Un vaisseau transportant des passagers faisait actuellement cette traversée. A bord, une femme était accoudée au bastingage, l'air calme, laissant les embruns saler son visage. Pourtant, elle rongeait son frein. Au fond de sa poche gisait, froissé, le message qui avait causé son départ.

Les jultèques avaient véritablement installé un relais de pigeonniers sur le semi de petites îles qui les séparaient de leurs voisins. Sur chacune des îles, un agent permanent était stationné qui recevait les messages par pigeons pour les redistribuer aux espions en mission.

Ce qu'elle avait reçu était un ordre direct de l'empereur. Elle devait abandonner immédiatement sa mission et rentrer à Jultéca. Cela faisait un mois qu'elle était sur Pwynyth' pour rassembler des informations sur leur niveau de défense et de préparation militaire. Un mois ! Quand elle repensait au temps et à l'énergie qu'elle avait investis dans cette mission... son sang bouillonnait. C'était tout simplement du gaspillage ! L'empereur avait-il renoncé à ses projets de conquêtes ou bien la trouvait-il incompétente ?

Razilda fut tirée de ses réflexions maussades par un jeune homme qui fila en coup de vent s'accrocher au bastingage pour y vider le contenu malmené de son estomac. Avec un gémissement, il s'affala ensuite sur le pont. Son teint verdâtre en disait long sur son habitude des voyages en mer. Le jeune homme capta son regard. Y lut-il de la commisération ou de l'amusement ? Quoi qu'il en soit, il se crut obligé de s'excuser.

– Pardonnez-moi, dit-il, mais il s'agit de mon premier voyage en bateau. Et probablement de mon dernier, car je ne suis pas sûr de survivre à celui-ci.

Razilda s'autorisa un sourire encourageant. Ce voyageur à la vêture soignée et au parler élégant ne devait pas être habitué à se trouver souvent dans un tel état.

Poussières de TerresWhere stories live. Discover now