7- "J'ai cru que c'était un clochard." 2/2

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La traversée de Derusto vers Jultéca avait duré une dizaine de jours. Elle avait été émaillée de grains et d'orages ce qui avait largement retardé l'arrivée à la capitale jultèque. Aussi, le soulagement avait-il été général quand les passagers eurent enfin mis pied à terre pour se lancer dans la ville.

– Tout est si sacrément immense ici ! souffla Saï pour la dixième fois. Vous avez vu que cette auberge a quatre étages ? Dans les rues, on se sent tout petit et insignifiant.

– C'est parce que c'est le cas, ma grande ! lança Griffe, toujours aimable.

Eliz sourit en hochant la tête. Jultéca était réellement impressionnante pour des étrangers. Elle aussi avait ressenti cette sensation d'écrasement, pourtant Riven'th était déjà bien plus urbaine que Derusto'th.

La guerrière jeta un coup d'œil inquiet sous la capuche qui recouvrait les traits de Kaolan. Celui-ci était resté silencieux depuis qu'ils avaient accosté, mais cela n'avait rien d'inhabituel. Cependant son silence lui paraissait bien plus morose qu'à l'accoutumée. Elle l'avait vu fréquemment porter une main crispée à sa poitrine, et elle imaginait sans peine que pour quelqu'un qui avait vécu toute sa vie dans la forêt, l'immersion brutale dans une telle métropole devait être assez difficile à vivre.

Après avoir quitté les quartiers peu reluisants qui entouraient le port, ils trouvèrent aisément une auberge proprette pour s'installer pendant une durée indéterminée. Le soir tombant sur leur pérégrinations jultèques, ils s'étaient installés dans la salle commune pour le repas du soir.

Eliz reposa sa fourchette avec satisfaction. Rien de bien exotique dans ce ragoût, et c'était une bonne chose, vue la faim dévorante qui la tenaillait depuis qu'elle avait enfin retrouvé la terre ferme.

– Il faut garder des restes pour ta bestiole ? glissa-t-elle à Saï.

– Oui, il dort sur mon lit pour l'instant, mais s'il n'a rien à manger à son réveil, ça va être difficile de rester discret, répondit la jeune fille. Quand je repense au cauchemar qu'il m'a fait vivre pendant la traversée... Mais ce qui m'inquiète le plus, c'est que je ne suis pas sûre de pouvoir trouver des Plumes de Chem ici, surtout en pleine ville. Trilyu m'a bien dit de lui en donner de manière régulière.

– Tu avais dit que c'était une herbe courante sur Derusto'th. Je suis sûre qu'on se débrouillera bien pour en trouver. De toute façon, je n'ai aucune intention de m'éterniser ici, une alimentation déséquilibrée pendant quelques jours n'a jamais tué personne.

– Mais c'est un bébé, protesta Saï, ils sont fragiles à cet âge-là !

Eliz ne put s'empêcher de grommeler des commentaires peu charitables sur les enfants en bas âge. La jeune derujin la fixa bizarrement, la tête inclinée sur le côté.

– Mais... tu n'as pas d'enfants toi ? lâcha-t-elle abruptement.

Eliz s'étrangla avec son verre de bière.

– Non alors, il ne manquerait plus que ça ! Comment je pourrais correctement assurer la sécurité du palais, si je devais passer mon temps à torcher des gosses.

Saï paraissait mal à l'aise mais ne lâcha pas le sujet pour autant.

– Mais, je ne comprends pas très bien, dit-elle. À... euh... ton âge, les derujins sont déjà mariés, avec plusieurs enfants, alors comment toi tu... enfin, je veux dire, est-ce que toi tu es...

Saï s'arrêta net devant le regard devenu brusquement dur de la rivenz.

– Je crois que ça suffit sur ce sujet, dit Eliz froidement.

Poussières de TerresWhere stories live. Discover now