2- "Se dévouer à ce point, c'est gênant à force." 1/2

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« Quelqu'un pourrait lui dire que ce n'est pas la peine de
se dévouer à ce point ? C'est vrai quoi, c'est gênant à force. »
Razilda de Grisval, en crise.


– On débarrasse la région d'un monstre dangereux et on est obligé de fuir à cause de ça ? C'est vraiment trop injuste.

Saï tournait en boucle sur le sujet depuis leur départ du manoir des Walderling. Même une première nuit passée dehors ne l'avait pas apaisée. En vérité, sous son amertume se cachait surtout la frustration de n'avoir pas pu assister à la représentation du soir des bateleurs qu'ils lui avaient décrite comme encore plus exceptionnelle.

À mesure qu'ils avançaient vers l'ouest, ils laissaient derrière eux les champs qui entouraient le domaine des Walderling, pour peu à peu retrouver un environnement plus forestier. Kaolan avait repris son rôle d'éclaireur. Peu après la pause de midi, il était revenu en annonçant une patrouille sulnite un peu plus loin, ce qui avait poussé Eliz, une fois de plus, à quitter la route pour s'enfoncer dans la pinède la plus proche.

Cet air de déjà-vu contribuait encore davantage à renfrogner Saï. Yerón était vite venu chevaucher à ses côtés pour tenter de la dérider. Et il y arrivait plutôt bien en lui racontant des souvenirs choisis de ses années d'étude à l'Université de Pwynyth, à tel point qu'Hermeline les rejoignit pour en profiter elle aussi. Saï riait de bon cœur, mais soudain, en regardant devant elle, elle fronça les sourcils.

Razilda chevauchait de façon très étrange.

Penchée en avant, elle oscillait au gré du pas de son cheval, bien loin de la posture impeccable qui était habituellement la sienne. Saï eut à peine le temps de s'en étonner que la Jultèque glissa sur sa gauche et tomba lourdement à terre.

Horrifiée, la jeune fille cria son nom et tira sur les rênes de sa monture. Elle en dégringola pour se précipiter vers la forme inerte de la Jultèque. Que se passait-il ? Pourquoi ne se relevait-elle pas ? Eliz l'avait imitée et la rejoignit en un battement de cil. La guerrière s'agenouilla et redressa doucement son amie, sourcils froncés.

– Ben alors ? Tu ne sais plus tenir à cheval ? commença-t-elle.

Mais lorsqu'elle vit le visage blafard de Razilda et la sueur qui sillonnait ses tempes, son sourire ironique s'effaça aussitôt. Elle toucha son front, puis son cou, et l'inquiétude transforma ses traits.

– Elle est glacée ! s'alarma-t-elle. Raz' ! Réponds-moi ! Qu'est-ce qui t'arrive ?

Razilda ouvrit les yeux et tenta avec effort de fixer son regard sur Eliz. Elle marmonna quelques mots inintelligibles avant de les refermer.

Saï, poings serrés sur ses cuisses, observait sans comprendre. Elle vit la peur dilater les pupilles d'Eliz et cela l'effraya bien davantage que l'état inexplicable de Razilda. Eliz glissa un bras sous les genoux de son amie et le second sous ses omoplates. Elle se redressa, soulevant son grand corps sans effort apparent. La tête de la Jultèque roula mollement contre son épaule et elle ouvrit à nouveau les yeux.

– Je peux marcher, tu sais, annonça-t-elle faiblement.

Légèrement rassurée de la voir consciente, Eliz eut un bref sourire.

– Et j'adorerai te regarder faire, vraiment, dit-elle. Mais j'ai un léger doute sur l'efficacité de la chose. On ne peut pas se permettre de traîner ici. Nous devons trouver un abri pour pouvoir nous occuper correctement de toi.

– Ça va passer, souffla encore Razilda.

La mâchoire d'Eliz se crispa.

– Ça, tu n'en sais rien. Moi, ce que je comprends, c'est que tu es vulnérable, comme ça. Tu vas monter en selle devant moi, c'est plus prudent.

Poussières de TerresWhere stories live. Discover now