Tu seras la Mort

Chapitre 93

Ça fait une heure qu'une longue barre de fer, ramenée de Sidonia, a été chauffée à blanc et enfoncée sans ménagement dans la plaque en métal qui empêche l'accès au Bordel. Ça a pris un moment avant de la traverser, mais ça a fini par fonctionner, sous le regard de la majorité des résistants ici présents. Quand la trappe a enfin été suffisamment ouverte pour laisser passer des humains, les infiltrés de Caliée et de Natem, ainsi que plusieurs autres volontaires Se sont glissés à l'intérieur. Tiaffa leur a rapidement dessiné, ce matin, quelques cartes pour qu'ils réussissent tant bien que mal à se repérer dans le Bordel et qu'ils sachent où se trouvent les endroits clés : son ancienne chambre, le grand salon, la salle à manger. Toutes les pièces où ils risquent d'y avoir le plus de monde rassemblé au même endroit.

Shallan, Elvirée et moi surveillons l'ouverture depuis lors tandis que les autres résistants sont retournés autour du feu pour profiter une dernière fois de leurs proches avant les combats. Même de loin, je fais en sorte de toujours garder un œil sur ma mère, qui étrangement semble aller de mieux en mieux, même si elle s'efforce de toujours garder ses nouveaux bras cachés sous sa robe, noire de saleté à force de l'avoir portée. Quant à ses deux autres trop longs membres, elle ne les décroise que très rarement. Hormis ça, ses cernes sont moins creusés, sa peau ne luit plus de sueur et elle discute de nouveau normalement avec les autres. Elle n'a plus l'air d'être à l'agonie. Peut-être que les scientifiques ont réussi à améliorer leur sérum et que ma mère ne deviendra pas une mutant dévorée par sa propre faim. Peut-être qu'elle mutera en arachnoïde, mais que son esprit, lui restera intact et qu'ainsi, je ne perdrai pas ma mère. Je l'espère de tout cœur en tout cas.

Depuis leur infiltration dans le Bordel, des cris déchirants et terrifiants arrivent jusqu'à nous à intervalles réguliers. Je m'efforce de les ignorer afin qu'ils n'entament pas mon courage et ma détermination. J'ai peur de l'état dans lequel je vais trouver les lieux quand on va y descendre à notre tour. J'ai peur qu'on me dise que certains des nôtres ont déjà perdu la vie...

Elvirée, l'une des chefs des infiltrés d'Allenia, profite de ce moment entre nous pour faire connaissance avec moi. Je n'ai jamais rencontré une femme comme elle. Sa peau est d'un sublime noir profond. Il n'a rien à voir avec le noir du soir qui terrifient les enfants. Non. La noirceur de sa peau a quelque chose de doux et chaleureux. Ses iris, aussi sombres que sa peau, se confondent presque avec leurs pupilles. Ses cheveux ont une texture et une coupe que je n'ai jamais vue non plus. Par endroits, sa peau foncée est recouverte de taches semblables à la mienne, mais de couleur bleu nuit. Si j'avais pu, j'aurais adoré avoir l'occasion de la peindre.

Après quelques minutes de discussion banale, je ne réussis pas à ne pas lui avouer qu'en réalité, je ne fais pas partie des chefs.

— Et pourtant, tout un groupe de personnes a choisi de son plein gré de te suivre, me répond-elle très sérieusement. C'est comme ça que sont élus les chefs.

Je ne sais pas quoi répondre à ça.

— N'essaie pas de la convaincre de quoi que ce soit, intervient Shallan, blasé. Elle n'écoute rien quand elle a une idée en tête. Laisse-lui croire qu'elle n'est la cheffe de personne, si ça lui chante. Tant qu'elle endosse quand même ce rôle sur le terrain tout à l'heure.

— C'est faux, répliqué-je malgré moi.

Shallan me lance un regard condescendant.

— C'est totalement vrai. J'ai rarement vu aussi têtue ! Sauf peut-être Thétanis et Tiaffa... Comme quoi, qui se ressemble s'assemble.

Cette fois, je souris, plutôt fière d'être comparée à ces deux femmes que j'admire.

— Tout ça pour dire que peu importe que tu n'aies pas été élue cheffe par un vote officiel, Lénée, reprend Elvirée, l'important, c'est que tu aies été choisie, que tu n'aies rien imposé. Yaram m'a beaucoup parlé de toi sur le trajet, tu sais.