Chapitre 17

162 29 23
                                    

Je ne sais plus vraiment depuis combien de jours je suis arrivée dans cette nouvelle maison. Deux ? Six ? Le temps qui passe me semble figé. Peut-être est-ce dû au traitement que je prends. Un traitement qui, je ne l'aurais jamais cru, me sauve depuis un moment maintenant. Le premier soir, j'ai découvert que lorsque je le prenais, comme quand Siène m'a obligée à le faire, je dors ensuite pendant un minimum de huit heures, d'un sommeil tellement lourd qu'il est presque impossible de me réveiller. Mon mari a bien essayé, le lendemain soir de mon arrivée ici, mais il n'a réussi qu'à m'arracher des grognements d'après ce qu'il m'a dit.

Je passe mes journées dans une sorte de brouillard qu'aucune angoisse ne parvient à percer. Un brouillard duquel j'aimerais pourtant sortir, ne serait-ce que pour retrouver toute ma tête et la vider d'une manière plus saine. En peignant ou en jouant de la musique par exemple. Mais Siène a été clair le premier jour : je dois prendre mon traitement. Et tant que cela m'évite le devoir conjugal avec lui, je veux bien être un légume. Mieux vaut ça qu'être un objet entre les mains de mon mari. Mieux vaut ça plutôt que de le laisser entrer en moi. Je ne veux pas que cet Homme me touche. Moins je le vois, mieux je me porte. Certains soirs, il me secoue tellement pour me réveiller et faire ce fichu devoir, qu'il y parvient, mais je fais semblant de ne pas réussir à émerger. Alors, comme les fois précédentes, je l'entends jurer et m'insulter. Je suis apparemment une femme « inutile », « idiote » et « lamentable ». Mais je préfère être tout plutôt que risquer que ma dernière intimité lui appartienne.

Ce matin, alors que je descends prendre le petit déjeuner, la tête encore un peu dans le coton, mais l'esprit commençant à se réveiller, comme les tous les jours depuis la fin de ma Cérémonie, je m'installe à table en face de mon mari son lever les yeux vers lui. Ça va être l'heure de mon médicament, c'est tout ce que j'attends.

Notre gouvernante, dont je ne connais toujours pas le prénom, m'apporte mon thé à la menthe et ma pilule. Je vais pour la prendre, mais Siène s'y oppose :

— Non.

Je vois du coin de l'œil la gouvernante relever la tête vers lui sans comprendre. Quant à moi, je ne bouge pas.

— Lénée ne prendra pas ses médicaments aujourd'hui.

Je lève à mon tour le visage vers lui et, encore un peu ensuquée, lui demande sans réaliser que je ne le devrais pas :

— Pourquoi ?

Un regard glacial me répond depuis l'autre bout de la table. Je rebaisse aussitôt les yeux pour m'excuser.

— Ces pilules d'abrutissent, déclare-t-il.

Ça, je le sais parfaitement.

— Et te font beaucoup trop dormir.

C'est justement pour ça que je les aime.

— Ca fait une semaine que nous sommes mariés et que notre mariage n'a pas été consumé. Il est temps que cette situation cesse.

Je déglutis, le regard toujours baissé, et passe mes mains sous la table. Elles se sont remises à trembler.

— Tu ne prendras pas de pilule ce soir non plus et tu ne te coucheras pas avant que je vienne te voir et que notre devoir soit enfin fait. Tous les trois jours, tu interrompras ton traitement pour que nous puissions nous unir.

Sentant qu'il attend une réponse de ma part, j'acquiesce légèrement, le souffle court.

— Alghéna, interpelle-t-il ensuite notre gouvernante, vous avez compris ? Interdiction de donner la moindre pilule à Lénée aujourd'hui ni tous les trois jours.

Elle doit avoir hocher la tête, car il ajoute :

— Bien, vous pouvez disposer. En fin de matinée, vous et Lénée irez lui acheter une nouvelle robe. Ma femme et moi avons un banquet important demain soir.

Tu seras la MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant