Chapitre 24 (partie 1)

128 27 4
                                    

[Attention, ce chapitre peut-être un peu violent pour les jeunes lecteurs / TW : harcèlement sexuel, langage cru]

******************************************************


Tard dans la soirée, alors que Siène et moi disons au revoir aux personnes attablées à nos côtés, Priétée se penche vers son mari et lui murmure quelque chose à l'oreille. 

Non... Elle n'a pas fait ça... 

Tout à l'heure, elle m'a proposé que l'on se voie demain afin d'aller faire un tour au parc végétal du dôme, mais je lui ai répondu que mon mari n'accepterait jamais, que c'était peine perdue. Elle a insisté en me demandant si elle pouvait le lui demander à ma place, espérant ainsi qu'il accepterait plus facilement. J'ai refusé catégoriquement. Que ce soit elle ou moi, sa réponse restera la même : non. Je dois rester cloîtrée chez nous, un point c'est tout. Tout du moins, jusqu'à ce qu'il décide que je suis devenue une bonne petite femme soumise à tous les caprices de son mari. Même avec toute la volonté du monde, je ne suis pas certaine d'en être capable. Je ne suis qu'un déchet, comme me l'a si bien dit Nourrice un jour. Je ne sers à rien à notre société. Je ne sais que pleurer et m'apitoyer sur mon sort. Pourtant, j'essaie. J'essaie d'être une femme normale ! C'est pour cela que ce soir, je suis bien décidée à enfin passer à l'action. Ce soir, je fais mon devoir conjugal. Si je veux retrouver un semblant de vie et pouvoir être autorisée à sortir avec Priétée de temps en temps, je n'ai pas le choix. Et ma nouvelle amie, avec qui j'ai discuté une bonne partie de la soirée, ne peut pas attendre de Siène qu'il me laisse sortir avant que j'aie fait ma part du contrat. Je m'y suis résignée. Le devoir conjugal n'est qu'un moment à passer. Si je ne résiste pas, si je fais tout ce que Siène me dit de faire, alors tout ira bien. Il ne s'énervera pas. Il ne me frappera pas. Il ne m'enfermera pas dans la cave. Tout ira pour le mieux.

Mais le mari de Priétée, un homme plutôt petit et roux à l'air aimable, esquisse un sourire dans ma direction après avoir écouté les mots de sa femme.

Je le sens mal...

— Siène, avant que vous partiez, ma femme voulait savoir si elle pouvait venir chercher la vôtre, demain, pour aller faire un tour au parc végétal.

Priétée, bon sang, je t'avais dit de ne rien tenter !

— Non, répond simplement mon mari d'un air hautain, comme si cet Homme venait de lui poser une question absurde.

Mais son interlocuteur ne se démonte pas.

— J'ai entendu dire qu'elle avait été malade cette semaine et n'avait pas quitté votre domicile depuis un moment, insiste-t-il. Pour porter des enfants, une Femme doit être en forme et prendre l'air est indispensable. J'ai entendu dire que vous vouliez offrir une ribambelle de rejetons à l'Enceinte. Si vous voulez qu'ils soient en bonne santé, il faut que leur mère le soit aussi.

Les autres Hommes encore présents autour de la table acquiescent vivement. Quand on parle de leur descendance, les Hommes se sentent tout de suite beaucoup plus concernés que lorsqu'on parle de leur femme. Et la pression sociale que subit actuellement Siène pourrait bien jouer en ma faveur. J'espère simplement qu'il ne m'accusera pas par la suite de l'avoir indirectement mis dans une telle situation. Parce qu'à cet instant, je ne vois pas ce qu'il pourrait faire d'autre qu'accepter de me laisser sortir demain.

Il en va du bien-être de ses futurs enfants. Ceux qu'il compte donner en pâture à la société juste pour espérer prendre du galon au sein de celle-ci...

Les lèvres pincées, les sourcils froncés et le visage fermé, Siène est visiblement en proie à un conflit intérieur. Il est pris au piège, il ne va pas pouvoir m'empêcher de sortir. Je déglutis, pendue à ses lèvres. J'ai tellement envie de quitter la maison, de partir quelques heures loin de cet Homme. Je veux me permettre, l'espace d'un moment, d'imaginer avoir une vie meilleure. J'envie tellement Priétée... Pourquoi n'ai-je pas eu la chance d'attirer un mari comme le sien ? Peut-être que si j'avais été d'un naturel plus joyeux, plus solaire, plus candide, si j'avais été une vraie Femme, j'aurais pu taper dans l'œil d'un Homme comme lui. Je me fichais de trouver un mari beau, mince et musclé comme la plupart des Innocentes. Moi, tout ce que je voulais, c'était quelqu'un de gentil, quelqu'un qui me laisse travailler à la boulangerie. Peu m'importait son physique tant qu'il était gentil. Mais non, la vie m'a fait miroiter l'éventualité de m'accorder une telle personne... avant de m'arracher tous mes espoirs. C'est cruel de sa part. Ou peut-être est-ce simplement le monde dans lequel je vis qui est cruel et que la vie n'a rien à voir là-dedans.

Tu seras la MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant