Chapitre 78

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Une heure plus tard, la maison apparaît dans notre champ de vision. Thétanis et moi n'avons rien oublié de notre enfance passée dans l'Enceinte, nous pouvons nous y orienter comme si nous y vivions encore. Savoir qu'il y a un dôme au-dessus de ma tête et de solides murs tout autour m'oppresse et fait remonter de mauvais souvenirs à la surface. Je me rappelle quand Nourrice et moi arpentions ces rues plusieurs heures par jour pour qu'un Homme daigne me trouver à son goût et noter le numéro que je portais au bras. Je n'étais pas assez importante pour qu'on m'autorise ne serait-ce qu'à porter mon nom ou mon prénom. Non, les femmes n'ont le droit qu'à des numéros aussi interchangeables qu'elles. Je me rappelle le prêtre qui me reprend le jour de ma Cérémonie. Je me rappelle les Contrôleurs m'arrachant le seul Homme que je voulais épouser à l'époque. Je me rappelle Siène me parler comme si j'étais une enfant ce même soir. Je me rappelle ma mise à Mort...

C'est la cage thoracique opprimée et la haine faisant vibrer mes entrailles que je me retrouve devant mon ancienne maison. Thétanis et moi nous arrêtons devant, le temps pour moi de l'observer, autant que je le peux du moins dans l'obscurité ambiante. Les seuls souvenirs positifs que j'ai dans cette maison sont avec Alghéna. Et aujourd'hui, elle n'est plus dedans. Alors tout ce que m'inspire ce bâtiment fade, c'est le malheur, la douleur et l'humidité de sa cave.

— Ça va aller ? s'enquiert mon amie.

J'inspire et expire profondément.

— Oui. Ça va aller.

Et je le pense. Je suis ici pour une seule chose : trouver des informations sur le lieu où a été envoyée ma mère. Rien d'autre. Je dois me concentrer sur ça et laisser mon passé douloureux là où il est.

Thétanis hoche la tête et nous nous avançons à pas de velours vers l'entrée de la maison. Je déjoins mes mains et dévoile la clé qu'Alghéna m'a donnée et que je gardais cachée. Doucement pour ne pas faire de bruit, je plonge la clé dans la serrure en retenant ma respiration. Je me souviens alors que le parquet de l'autre côté grinçait. J'en informe tout bas Thétanis et tourne la clé en grimaçant quand le pêne se retire pour déverrouiller la porte. Je retiens mon souffle et pousse le battant.

De l'autre côté, tout est plongé dans le noir et le silence. Une très légère odeur de nourriture flotte encore un peu dans l'air. En l'absence d'Alghéna, c'est la nouvelle femme de Siène qui a dû s'occuper du repas. Elle a l'air plutôt douée. J'enjambe la partie du parquet que sait branlante et Thétanis, derrière moi, referme la porte dans son dos avec précaution avant de m'imiter. Mon cœur résonne jusqu'à mes oreilles, tellement fort que je crains que ça n'attire mon ex-mari. D'un geste du menton, je montre à mon amie le couloir contenant la chambre et le bureau de Siène. La pièce qui nous intéresse est celle qui se trouve le plus près de nous. Heureusement, car je ne sais pas à quels endroits du couloir le parquet grince. Moins on devra s'enfoncer dans celui-ci, moins on risquera de faire du bruit.

Le bois ne craque pas, excepté quand nous arrivons devant le bureau. Je grimace et me pétrifie, le souffle court, le regard braqué sur la porte de la chambre de Siène. Après quelques secondes sans entendre bouger à l'intérieur, Thétanis et moi nous rassérénons et nous concentrons de nouveau sur notre mission. Au cas où, je m'assure que le maître des lieux n'a pas simplement oublié de verrouiller son bureau. Ce n'est évidemment pas le cas. Thétanis me pousse alors gentiment pour prendre place devant la porte. Elle attrape l'un des poignards coincés entre sa taille et son short, puis avec dextérité, commence à dévisser les vieux clous qui maintiennent la poignée du bureau. Pendant ce temps, je m'occupe de monter la garde. Par moments, de légers grincements métalliques se font entendre, mais Thétanis ne se démonte pas et continue son travail. Elle sait que je veille sur nos arrières.

Tu seras la MortWhere stories live. Discover now