Chapitre 83

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Je ravale mes doutes et ma douleur pour ne penser qu'à mon but : sauver ma mère et quitter cet endroit. Puis, je me remets debout et Nalénée, les traits toujours durs, m'adresse pourtant un sourire fier.

Les gens changent vraiment...

Rapidement, je compte le nombre de prisonniers présents dans la pièce. En tout, moi compris, nous sommes cinq femmes et quatre hommes. Si nous unissons nos forces la prochaine fois que les Contrôleurs viennent, on peut y arriver. Nalénée et moi sommes suffisamment en forme pour prendre d'assaut un Contrôleur afin que je puisse lui subtiliser son fouet. Et si je parviens à le lui prendre, ces connards n'ont aucune chance. Mais on a besoin des autres prisonniers et de Thétanis pour empêcher les autres Contrôleurs qui seront présents de venir en aide à celui qu'on volera, et pour ça, il faut qu'ils sortent tous de leur léthargie et de leurs regards vides. Il faut qu'ils reprennent espoir.

Je laisse mes yeux passer sur chacun des prisonniers ici présents. Thétanis serre les dents, mais elle est blanche comme un linge et sue alors qu'il ne fait pas chaud. Elle est à l'agonie. Deux hommes et une femmes ne paraissent pas vraiment être blessés, simplement abattus, comme si tout espoir les avait désertés.

A moi de le faire renaître.

Un homme sanglote dans un coin tandis que deux autres personnes murmurent des paroles incompréhensibles.

— Ecoutez-moi. Tous. Je ne sais pas ce que vous avez pu faire pour mettre le gouvernement tellement en colère qu'il a choisi de vous envoyer là plutôt que de vous faire devenir la Mort, commencé-je. Je ne pense cependant pas trop m'avancer en disant que chacun d'entre vous faisait partie de la résistance. A une époque, vous vous battiez pour la liberté, ne cessez pas aujourd'hui simplement parce que tout semble perdu. On ne perd que lorsqu'on abandonne.

La femme qui fixait le vide lâche un petit rire. Elle a reporté son attention sur moi.

— Je ne sais pas qui tu es, mais s'il te plaît, tais-toi. On est là depuis plus longtemps que toi et il n'y a rien à faire. On mourra tous ici. Ceux qui quittent cette pièce n'en reviennent jamais. Tout ce que tu peux faire, c'est croiser les doigts pour que ton tour arrive rapidement pour que tu n'aies pas à supporter ces conditions trop longtemps.

— Hors de question, répliqué-je en soutenant son regard. Ma mère que je viens à peine de retrouver vient d'être emmenée et je ne resterai pas ici sans rien faire. Des hommes et des femmes sont morts il y a peu dans l'Enceinte, et ils seront vengés. D'autres hommes et d'autres femmes sont encore réduits à l'esclavage dans les dômes, et je ferai tout mon possible pour les libérer. Nous ferons tout notre possible pour les libérer, car c'est pour ça au départ, que chacun d'entre nous intègre la résistance.

— Tes mots son bien beaux, me répond un homme, mais on te le répète : on ne peut pas sortir d'ici. Alors, lâche-nous.

Je soupire fortement et lance un coup d'œil à Nalénée. Les bras croisés, elle m'observe, mais ne semble pas décidée à me venir en aide. Quant à Thétanis, je crois qu'elle entend à peine ce que je raconte.

— Alors quoi ? m'exclamé-je. Vous baissez les bras ? Vous vous réfugiez dans un coin en attendant la mort ? Votre propre vie ne compte-t-elle pas plus que ça à vos yeux ? N'avez-vous pas envie de connaître le bonheur ? Le vrai bonheur. N'avez-vous pas envie de pouvoir être qui vous voulez, aimer qui vous voulez et faire ce que vous voulez ? Vous savez quoi, un jour, j'ai choisi de devenir la Mort parce que ma liberté comptait plus que tout. Je préférais cinq secondes de liberté à pouvoir faire mes propres choix, qu'une éternité entravée par des connards ! J'ai préféré courir cinq seconde de mon plein gré, perchée sur des jambes qui n'avait presque pas de muscle, sur des jambes qui portait encore la trace de toutes les punitions que j'avais reçues, plutôt qu'une éternité à servir les désirs des hommes du gouvernement ! Peu m'importait si après ça, je mourrais, parce qu'au moins une fois dans ma vie, j'aurais eu les choses en mains, j'aurais pu décider de mon sort ! Tout est perdu que si on pense que tout est perdu ! Je ne peux pas vous promettre que vous resterez en vie si vous vous battez aujourd'hui, mais ce qui est certain, c'est que si vous ne le faites pas, oui, c'est la mort qui vous attend.

Cette fois, j'ai réussi à capter leur attention. Le doute se lit sur leurs visages. Même les deux personnes qui semblaient prises de folie et parlaient toutes seules ont cessé pour tendre l'oreille à mon discours. Je me dirige vers l'un des fauteuils et monte sur ses accoudoirs en bois pour être bien vues de tous malgré l'obscurité.

— Si on unit nos forces, on a une chance de sortir d'ici. Si vous m'aidez le temps que je vole le fouet d'un Contrôleur, je vous promets que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour sortir d'ici. Et si nous mourrons aujourd'hui, ce sera au service de la liberté, non par décision des Hommes d'Avant.

Je fais une pause le temps de regarder dans les yeux chacune des personnes qui m'entourent, sans flancher. Puis, déterminée, la voix assurée, le poursuis :

— Ils nous ont réduits au silence, ils nous ont asservis, ils ont tenté de détruire nos corps et nos âmes pour que nous nous oubliions. Mais nous sommes encore là, encore bien réels, encore bien nous-mêmes. Ils vont regretter. Ils vont nous craindre. Ils vont nous supplier de les épargner. Aujourd'hui, je vous le dis : jamais nous ne cèderons. Aujourd'hui, nous reprenons ce qui nous appartient. Et que tremblent tous ceux qui oseront se mettre sur notre chemin au lieu de marcher à nos côtés ! Aujourd'hui, la Mort revient !

Les poings serrés de rage, j'attends une réaction de leur part. Un silence s'empare de la pièce tandis mon rythme cardiaque s'est accéléré. Les Hommes d'Avant ont fait de moi la Mort. Tous le regretteront. Je passerai ma vie à les traquer s'il le faut, mais ils ne vaincront pas.

— Aujourd'hui, la Mort revient ! s'exclame Nalénée en reprenant mes mots, le poing levé, plus déterminée que jamais.

Les coquards qui colorent ses yeux donnent un air encore plus menaçant à ses paroles.

— Aujourd'hui, la Mort revient, déclare Thétanis d'une voix si faible que je peine à l'entendre.

Si son visage ne reflète que douleur, son regard qu'elle a réussi à poser sur moi, lui, ne reflète qu'une chose : son désir de vengeance. Et je la connais suffisamment pour savoir que si elle doit mourir aujourd'hui de ses blessures, ce ne sera pas avant avoir tenté de nous aider à sortir d'ici, pas avant d'avoir fait souffrir un dernier Homme d'Avant.

L'un des hommes imite mes deux acolytes. Puis une femme. Et, une à une, toute les personnes de la pièce en font de même, une lueur vivace dans le regard, la rage de vivre dans le cœur, le courage de mourir pour la liberté dans leur poing serré et dressé au-dessus de leurs tête.

Tu seras la MortWhere stories live. Discover now