Chapitre 34

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Le lendemain matin, Dinaa nous réveille à l'aurore. Les paupières encore collées entre elles tellement j'ai bien dormi, j'ai du mal à émerger.

— Allez, allez, debout ! Votre formation débute dans une heure, vous avez rendez-vous à la bibliothèque et il faut que vous ayez le temps de petit-déjeuner avant ça. Je vous ai fait apporter des viennoiseries, elles vous attendent dans la salle commune.

Je me frotte les yeux. Mes côtes me font de moins en moins souffrir et je ne sens déjà plus mes autres blessures qui sont en bonne voie de guérison. Quelques secondes plus tard, je parviens enfin à ouvrir les yeux, pour aussitôt tomber sur la tête à l'envers de Priétée qui me regarde depuis le lit au-dessus du mien. Elle arbore un immense sourire.

Comment fait-elle pour être d'aussi bonne humeur dès le matin ?

Constatant que j'émerge enfin, elle se redresse et son visage disparaît de mon champ de vision. J'en profite pour jeter un coup d'œil aux alentours. La plupart des autres lits ne sont pas occupés. En réalité, hormis Priétée et moi, il n'y a qu'une seule autre personne dans le dortoir : un homme d'environ notre âge que je n'avais pas encore croisé depuis mon arrivée. J'essaie de ne pas penser au fait que j'ai dormi dans la même pièce qu'un garçon, m'arrêter sur ce genre de détails ne me servira à rien. Imaginer qu'il aurait pu entrer dans la salle de bains quand je me douchais, nue, non plus.

Je m'assieds sur mon matelas usé et m'étire sans trop de douleur comparé aux jours précédents. À droite de mon lit se trouve le petit placard dans lequel j'ai rangé les affaires que Dinaa m'a données. Il n'y a pas grand-chose et pourtant, je n'ai jamais eu autant d'effets réellement personnels de toute ma vie.

J'ouvre la porte du placard et tente de différencier les vêtements qui s'y trouvent, sans grand succès. J'attrape alors un haut et un bas au hasard, et croise les doigts pour ne pas ressembler à un clown une fois habillée. Puis je retourne sous mes draps pour me changer en toute intimité. Lorsque c'est chose faite, je me dirige enfin vers la salle commune, celle par laquelle on entre dans les quartiers des rescapés. Un vieux plateau en porcelaine ébréchée trône sur la table basse. Il est rempli de ce qui semble être des croissants et des pains à la confiture. Priétée a déjà les commissures des lèvres couvertes de pâte feuilletée tandis que le garçon mange un croissant par petits bouts qu'il arrache avec ses doigts. Je les rejoins pour goûter à ce festin. Une carafe fumante et diverses tasses non assorties sont également à notre disposition. Curieuse, je passe mon nez au-dessus du liquide chaud.

— C'est du thé à la rose, m'apprend mon amie. Sers-toi si tu en veux.

Je ne me fais pas prier. Un peu de thé pour finir d'émerger de mon sommeil, c'est pile ce qu'il me faut ! Sa douce odeur s'empare de mes narines et, ça ajouté à la chaleur matinale de ce début d'été, j'ai l'impression d'être dans un rêve. Un rêve paisible duquel je n'ai pas envie de sortir. Rien ici n'a le luxe du dôme et pourtant, tout me paraît tellement plus riche. Plus vrai. Les parfums. Les matériaux. Et même nos vêtements usés aux couleurs passées. Je me sens légère, comme débarrassée d'un poids, et ce, même avec un homme dans la pièce.

Dinaa entre dans la salle commune alors que nous profitons calmement de ce petit déjeuner paisible. Elle tient à la main quelque chose emballé dans un tissu qui, à l'origine, devait être blanc.

— Tiens, Lénée, c'est pour toi, me dit-elle en posant le paquet dans mes mains. Priétée m'a dit que tu y tenais beaucoup. Et de toute façon, il te fallait une montre donc...

J'écarte le tissu et découvre ma montre à gousset. Elle a été réparée ! Mes yeux écarquillés passent de l'objet à l'intendante et inversement.

— La partie en verre et les aiguilles ne sont pas d'origine, l'artisan a dû les remplacer, mais le boîtier est le même. Les morceaux ont été soudés entre eux. Et le mécanisme fonctionne ! Bon, on voit qu'elle n'est plus toute neuve, mais on a fait du mieux qu'on...

— C'est parfait, la coupé-je, les larmes aux yeux. Je... je ne sais pas comment vous remercier...

Les mains tremblantes, je fixe cet objet si cher à mon cœur que Priétée a eu la gentillesse de demander à faire réparer. Je relève la tête vers les deux femmes, émue, sans savoir quoi dire. Mais l'expression de leurs visages me fait comprendre que je n'ai pas besoin de prononcer un seul mot. Ma réaction leur suffit.

— Il se peut aussi que des maillons de la chaînette aient été changés, ajoute Priétée, tout sourire. L'artisan m'a proposé de carrément la retirer, mais j'ai insisté en disant que mon amie avait une façon bien à elle de porter ce bijou.

Parce que je ne sais pas quoi faire d'autre, je la prends dans mes bras, chose que je n'ai jamais fait de ma vie avec personne. Je ne suis pas sûre que cette fille sache à quel point je l'adore, à quelle point sa présence et son soutien m'ont sauvé la vie ces dernières semaines et continuent de le faire aujourd'hui. Je me fiche d'avoir eu peu d'amies au cours de mon existence si c'était pour tomber sur elle aujourd'hui. Elle en vaut bien cent autres.

— Bon, je vous laisse terminer votre repas tranquillement, le devoir m'appelle ailleurs, annonce Dinaa. N'oubliez pas de faire attention à l'heure.

Priétée et moi la remercions chaleureusement tandis que le jeune homme reste muet dans son coin, et l'intendante part vaquer à ses occupations.

Peu avant 8 h, nous nous rendons tous les trois à la Nouvelle bibliothèque d'Alexandrie. Dehors, l'air est doux et des parfums de bois, de terre, d'épices et de fleurs commencent à embaumer les lieux. Parfois, je crois même percevoir quelques effluves d'agrumes. Mes sens sont en éveil. C'est comme s'ils avaient dormi pendant vingt ans et qu'ils se réveillaient aujourd'hui. La différence avec la vie dans le dôme est si flagrante à cet instant qu'elle me frappe de plein fouet. Tout me semble tellement plus vrai, tellement plus palpable ici, que mon passé me semble n'être qu'un lointain cauchemar.

A peine arrivons-nous devant la haute tour abritant la bibliothèque qu'une femme d'une quarantaine d'années au front orné d'un troisième œil nous interpelle :

— Vous devez être nos trois nouveaux ! Je vous attendais. Je suis Payne, votre formatrice.

Quelques minutes plus tard, nous sommes installés dans une petite annexe de la bibliothèque, dans de confortables fauteuils devancés par des tables en piteux état. Un tas de feuilles a été déposé face à chacun d'entre nous ainsi qu'un fin bâtonnet de charbon. Une excitation naît dans mon ventre : j'ai l'impression de revenir à l'école !

— Bien, si vous êtes tous prêts, on va pouvoir commencer, déclare Payne.

Trois yeux pour surveiller trois élèves, c'est pratique...

Tu seras la MortWhere stories live. Discover now