Tu seras la Mort

Chapitre 36

LE JOURNAL DE GABRIEL

24 mars 2148

Je n'ai jamais ressenti le besoin d'écrire mes pensées avant aujourd'hui. Mais dehors, le monde change, je ne le comprends plus. Aux infos, ils annoncent toujours plus d'assassinats, toujours plus de suicides, toujours plus de famine, toujours plus de chômage... toujours plus de tout, en fait. Nous sommes apparemment entrés dans une époque d'abondance. Dans le mauvais sens du terme.

Depuis quelque temps, le nombre des adeptes d'un groupe sectaire augmente. Au début, tout le monde les a pris pour des illuminés complotistes, personne n'écoutait ce qu'ils avaient à dire à part pour en rire. Pour se moquer. Ce matin, j'ai encore vu passer un de leurs articles de propagande en traînant sur Internet :

« La vermine est parmi nous, elle nous vole nos métiers, nos logements et notre nourriture. La vermine prolifère et ne pense qu'à dépenser notre argent dans des choses futiles : shopping, cinéma, lectures infâmes, sexe débridé sans valeur donc sans saveur. Leur espèce nous envahit et nous contamine. Les diverses religions nous divisent. Et la pire vermine parmi les vermines, ce sont les femmes. Elles nous séduisent, nous manipulent, nous noie sous leurs paroles vides de sens destinées à nous détourner du droit chemin afin de ne plus faire leur part du travail. Elles ne veulent plus écouter, elles ne veulent plus s'occuper de la maison, elles veulent décider quand faire ou non le plus pur de leurs devoirs, le devoir conjugal, obligeant leurs époux à enfouir leur besoin le plus sain et intense : celui de se libérer pour créer la vie. Pourquoi plus personne ne se concentre plus sur la vie ? Tout ce que la vermine sait faire, c'est se faire la guerre. »

12 mai 2149

Ils ont créé un parti politique ! Un ramassis de conneries tout ça... « Les Hommes d'Avant » qu'ils se font appeler. Beaucoup, moi y compris, pensaient que ces hommes n'auraient jamais de voix... mais Maalia et moi venons de suivre l'ouverture des scrutins pour les présidentielles.

Ces fous sont passés.

Un an qu'ils nous bassinent avec leurs paroles machistes, homophobes et totalement mégalo... Je m'interroge encore : comment une secte a-t-elle pu se retrouver à la présidence ? Comment des personnes civilisées ont-elles pu voter pour ces gens ?

Oui, le monde ne va plus depuis plusieurs années déjà, nos ressources s'épuisent dangereusement, des guerres éclatent tous les jours dans tous les pays pour des broutilles, certains s'agglutinent à dix dans des appartements de quinze mètres carrés, d'autres s'entretuent pour un bout de pain, mais la solution était-elle vraiment celle proposée par les Hommes d'Avant ? Tout ce qu'ils ont fait, c'est utiliser le malheur général pour bourrer le crâne des plus désespérés.

Je ne sais pas ce qu'on va devenir.

5 septembre 2149

Cet après-midi, en rentrant du travail, j'ai croisé les voisins. Je n'ai pas su comment réagir quand le mari a baffé sa femme quand celle-ci a osé lui tenir tête concernant ce qu'ils allaient manger ce soir. Elle a vaillamment relevé les yeux vers lui, lui a demandé comment il avait osé faire ça, et tout ce qu'il a trouvé à lui répondre, c'est : « Tu n'es qu'une vermine bonne qu'à enfanter. Baisse le regard et ne me reparle plus jamais de la sorte ». Autour, personne n'a réagi, pas même moi... J'aurais aimé lui mettre mon poing dans la figure pour avoir fait et dit ça, mais j'ai eu peur. Peur qu'il appelle la police et que tout me retombe dessus.

Ces derniers temps, les hommes et femmes qui se rebellent contre le nouveau gouvernement disparaissent mystérieusement. Mon ancienne voisine, Marie, et plusieurs autres femmes ont voulu faire la grève pour faire savoir leur mécontentement. Le lendemain matin, j'ai croisé son mari avec une nouvelle femme bien docile sortie de je ne sais où. Et quand j'ai tenté d'aborder le sujet, de savoir où était passée Marie, on a tenté de me faire passer pour un fou. « Mais qu'est-ce que tu racontes ? J'ai toujours été marié à Sianée. Je ne sais pas d'où tu sors cette « Marie » ». J'ai vraiment eu l'impression de perdre la tête.