Chapitre 66

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Ça fait une heure qu'on est enfermés dans l'enclos sur le côté de la grotte, les poignets toujours liés, assis les uns contre les autres dans un coin. Yaram, Jarem et moi entre Thétanis et Shallan. Nos bâillons toujours en place, nous n'avons encore pu échanger aucun mot, mais nos regards en disent long. Shallan, les sourcils froncés, observe attentivement les alentours, comme s'il cherchait à s'approprier notre environnement pour mieux être à même d'en tirer profit. Thétanis, pas impressionnée le moins du monde par la situation, soutient vaillamment chaque regard de dissident qu'elle croise et ce n'est jamais elle qui finit par le détourner. Je ne parviens pas à savoir si c'est la bonne chose à faire. Son aplomb semble déstabiliser les dissidents, si bien que je doute qu'ils abusent physiquement d'elle pour la plupart. Mais leur crainte ne risque-t-elle pas de les pousser à la manger plus vite pour s'en débarrasser ? Yaram, quant à lui, paraît constamment sur le point d'imploser de rage. Ses traits sont tirés, j'entends sa mâchoire grincer et ses poings sont tellement serrés que ses jointures blanchissent. Jarem et moi sommes, en apparence seulement, plus calmes. Mains dans les mains pour nous soutenir, nous ne bougeons pas. J'oscille toujours entre me pétrifier de terreur et me laisser envahir par une haine sans nom. Non seulement parce qu'on prévoit de me « baiser » et de me manger, mais aussi parce que tout ce que je vois autour de nous me dégoûte profondément. Dans la grotte, le plafond est bas et les murs humides. De petites ouvertures dans la roche permettent de faire entrer un peu de lumière dans les lieux. Régulièrement, les femmes derrière les tam-tams se mettent à taper sur ces derniers et les bruits sourds qu'ils produisent vient se mélanger aux cris de douleur et de détresse d'autres femmes qu'on agresse sexuellement. Le tout résonne dans les parois de la grotte et me vrille les tympans autant que le cœur. Ces hommes n'ont-ils donc aucune morale ? Aucune compassion ? Je commence à comprendre pourquoi certaines femmes dissidentes préfèrent retourner dans un Bordel plutôt que de continuer à survivre ici telles des animaux. J'ai de la peine pour elles. Elles ont survécu à leurs mutations, elles auraient pu vivre libres à Sidonia si les dissidents n'avaient pas mis la main sur elles avant Fianée ou n'importe quel autre camp de secours. Elles auraient pu se reconstruire si les dissidents ne leur mettaient pas de mensonges sur nous dans la tête.

Finalement, ma colère commence à prendre le pas sur ma peur.

J'observer les femmes autour de nous dans l'enclos. La plupart semblent épuisées. Je les vois essayer de chercher le sommeil en position fœtale, mais les tremblements qui les assaillent les en empêchent. Dans un coin, l'une d'elle est assise et tient ses jambes entre ses bras. Son pied saigne. Il fait trop sombre pour que j'en sois sûre, mais je crois qu'on lui a coupé un orteil récemment. Le regard perdu dans le vide, elle se balance d'avant en arrière.

Le bruit des tam-tams s'élève de nouveau et j'ai envie de me boucher les oreilles. Je n'en peux déjà plus d'entendre ces femmes souffrir et ces hommes pousser des soupirs et des grognements infâmes. Certains expriment tellement fort leur plaisir abject que leurs cris surpassent ceux des percussions et des femmes dont ils abusent.

J'ai mal au ventre tellement mes entrailles sont nouées et je serre plus fort la main de Jarem. Je ne comprends pas comment ces hommes ont pu en arriver là. Comment un seul endroit peut-il abriter autant de cruauté ? En réalité, ce ne sont pas les mutants les plus dangereux dans le Monde Libre, mais les dissidents. Les clans du genre de celui d'Obienn du moins. Pourtant, ils se sont trouvé un lieu plutôt sécurisé dans cette grotte et avec ces gros rochers à l'entrée qui permettent de n'avoir qu'une petite entrée sur le camp à surveiller et à protéger. Pourquoi en ont-ils fait cet antre de la torture ?

Alors que je me pose cette question, une forte odeur fumée de viande vient chatouiller mes narines. Quelques secondes plus tard à peine, des hurlements déchirants se font entendre, mais aucun des dissidents alentour ne réagit. Je réprime un premier haut-le-cœur, cependant, un deuxième le suit de près et je ne réussis plus à respirer. Faisant fi des dissidents alentour, je monte aussitôt mes mains à ma bouche et retire le tissu qui l'obstruait, pile à temps pour que je ne m'étouffe pas avec mon propre vomis. Il n'en faut pas plus à mes compagnons pour prendre le risque de retirer leur tissu aussi.

Tu seras la MortWhere stories live. Discover now