Chapitre 29 (partie 1)

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La soirée d'hier a été magique. L'espace d'un instant, j'ai eu la sensation de rêver, sans cauchemars à l'horizon. La vingtaine de membres du camp de secours et moi avons mangé ensemble, hommes et femmes côte à côte, discutant et riant comme je n'ai jamais autant vu de gens le faire aussi librement et sereinement. Si le repas était loin d'être bon, l'ambiance chaleureuse autour de ce feu une fois la nuit tombée a largement compensé. Plusieurs personnes sont venues me saluer, notamment celles avec lesquelles je dois me rendre à la capitale. Si j'ai été plutôt rapidement à l'aise avec les femmes, bien qu'encore un peu sur la retenue après vingt années passées dans l'Enceinte, je n'ai pas réussi à décrocher un mot à un seul homme. Je me suis contentée d'un petit hochement de tête en direction de ceux qui sont venus me voir. J'ai réussi à ne pas baisser la tête et à les regarder, et c'est déjà un grand pas. Ici, les hommes me font beaucoup plus penser à Jarèm qu'à Siène, ce qui me facilite la tâche. J'espère un jour être aussi à l'aise en leur présence que les autres femmes. Ça prendra peut-être un peu de temps, mais j'y arriverai. Comme me l'a si bien fait remarquer Tiaffa plusieurs fois dans la soirée, je ne dois plus baisser la tête devant personne.

Tout mon corps m'a encore fait souffrir cette nuit et le lit de feuilles n'a rien arrangé, mais mes songes ont été d'une douceur jamais égalée jusqu'à aujourd'hui. Et c'est de bonne humeur que je me réveille ce matin à l'aube. Je renfile les mêmes vêtements que la veille. Chose que je n'avais jamais faite avant, les règles sous le dôme dictant à ses habitants de se changer chaque jour et de veiller à tenir ses vêtements propres. Là-bas, on ne portait pas les mêmes habits deux jours d'affilée sous peine d'être dévisagé et rappelé à l'ordre si quelqu'un s'en rendait compte. Mais c'est avec plaisir que je remets ma tenue de la veille. Finalement, je l'aime beaucoup. Elle est pratique, très confortable et parfaite pour les températures chaudes de l'été. Et puis, tout le monde s'habille comme ça ici. Et personne ne fait attention aux mutations des autres. Mis à part Tiaffa qui n'arrête pas de me surnommer la tomate albinos – mais je crois que c'est plus affectueux qu'autre chose –, les autres n'ont fait aucune remarque sur ma peau bicolore. Je n'en ai pas fait non plus sur leurs différences, même quand celles-ci étaient affreuses et dégoûtantes. J'ai pris sur moi. Ça n'aurait pas été poli et les pauvres n'y peuvent rien si leur corps a muté de la sorte. Certains, comme moi, changent de couleur, d'autres ont des membres en trop, des excroissances, des membres en moins ou déformés. J'ai même aperçu une fille avec quatre yeux. J'avoue ne pas avoir été suffisamment à l'aise pour la regarder comme si de rien n'était – j'ai déjà un peu de mal avec les excroissances de Tiaffa –, alors je me suis contentée de me focaliser sur d'autres choses ou personnes qu'elle.

En parlant de Tiaffa, celle-ci fait le voyage avec moi jusqu'à Sidonia. Elle s'est portée volontaire et je lui en suis reconnaissante. Avoir une tête plus ou moins connue à ses côtés, c'est toujours rassurant. Fianée, quant à elle, en tant que cheffe de ce camp, doit rester ici. Les camps de secours sont là pour défendre les alentours des différents dômes. Pas pour protéger ceux qui y habitent, mais pour donner une chance de survie à ceux qui deviennent la Mort et leur prodiguer les soins nécessaires le temps de savoir s'ils vont muter ou mourir pour de bon.

Comme je n'ai aucune affaire hormis la robe en lambeau que je portais lors de ma mise à mort et que je ne désire en aucun cas la garder, je n'ai rien à préparer pour mon départ. Alors, je pars faire un tour du camp pour voir si je peux être utile à quelqu'un.

Je me sens légère, heureuse. Comme si plus rien ne pouvait m'atteindre.

— Lénée, qu'est-ce que tu fous ? m'agresse presque Tiaffa de son ton habituel.

— Heu... je... cherche où je pourrais aider.

— Tu tombes bien. Tu vas pouvoir t'occuper de ton nouveau cheval ! J'ai pas le temps de le seller pour toi. Viens.

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