Chapitre 37 (partie 2)

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Après un copieux repas, Priétée et moi nous affalons sur nos chaises, face à nos assiettes vides.

— Je n'ai jamais rien mangé d'aussi bon que ce que les gens cuisinent ici, commenté-je, repue.

— Content d'avoir contribué à votre bonheur, mesdames, intervient alors un homme d'une trentaine d'années qui mangeait à côté de nous.

Par réflexe, Priétée et moi nous redressons aussitôt, avant de nous rappeler que rien ne nous oblige plus à nous tenir d'une certaine façon en présence du sexe opposé. Je déglutis discrètement pour me donner le courage de lui répondre.

— C'est... vous qui avez préparé tout ça ?

— J'y ai participé du moins. Préparer seul à manger pour autant de personnes serait beaucoup trop long. D'ailleurs, c'est bien cette semaine que vous devez faire le choix de votre futur métier, il me semble, non ? N'hésitez pas à passer voir comment fonctionnent les cuisines du quartier, on ne serait pas contre de nouvelles têtes parmi nous.

— C'est gentil de proposer, le remercie Priétée, mais... je me destine à autre chose.

— Ah ? A quoi ? la pousse-t-il gentiment à continuer.

Je suis réellement surprise de ne constater aucun mépris sur le visage de cet homme. Il paraît vraiment intéressé par ce que lui raconte mon amie. Son expression est aimable et son regard attentif. Je suis toujours aussi étonnée de rencontrer des hommes comme lui. Avant ma mise à Mort, je ne savais pas que ça existait vraiment – Jarèm étant l'exception qui confirmait la règle. Pour moi, c'était la normalité, même si cela ne me convenait pas. Aujourd'hui, je comprends que le problème ne venait pas de moi, mais d'eux. Ces hommes embrigadés par les Hommes d'Avant. Et je sais à présent, car j'ai pu m'en rendre compte, que toutes les personnes de sexe masculin ne pas pareilles.

— La médecine. Je veux pouvoir aider les autres, les soigner.

— C'est bien, on a fortement besoin de gens comme vous ! affirme l'homme. Et vous, que souhaitez-vous faire ?

Cette fois, c'est à moi qu'il s'adresse. Je baisse les yeux. Pas par respect ou crainte, mais par honte.

— Je... je ne sais pas encore...

— J'espère dans ce cas que cette semaine de découverte pourra vous aider à faire votre choix.

Je le remercie d'un signe de tête.

— Je crois que votre amie a plus que besoin d'une petite soirée au bar, plaisante-t-il ensuite à l'attention de Priétée.

— Où se trouve-t-il ? Nous n'avons pas encore eu le temps de visiter toute la ville, lui répond cette dernière.

— Souterrain B. A l'angle de la rue de la bibliothèque. Sur ce, mesdames, je vais vous souhaiter une belle fin de soirée, on m'attend ailleurs.

Il nous offre un sourire sympathique avant de quitter la table pour aller mettre ses couverts dans les grands bacs prévus à cet effet et s'en aller.

Peu de temps après lui, Priétée et moi en faisons de même. Je me laisse convaincre de faire un petit détour par le bar, curieuse de découvrir ce lieu qui était réservé aux hommes dans l'Enceinte et que tout le monde semble apprécier ici. Je me souviens que Tiaffa devait y rejoindre quelqu'un le jour où nous sommes arrivées à Sidonia.

On ne met pas longtemps à trouver le souterrain en question et à peine posé-je un pied sur la première marche descendante que des effluves étranges, acres, s'emparent de mes narines et qu'une musique forte au rythme cadencé vient résonner dans mes oreilles.

— Ca sent pas la rose ici, constate mon amie en passant sa main devant son nez.

Je lâche un petit rire en la voyant grimacer.

— Et plus on descend, pire c'est, ajouté-je. Qu'est-ce qui peut bien attirer autant les gens dans une telle puanteur ?

Elle hausse les épaules, amusée, et nous arrivons dans le souterrain. La musique est incroyablement forte et même en élevant la voix et en tendant l'oreille, je ne comprends pas ce que me dit Priétée ni à me faire entendre d'elle. Lorsque nous passons la lourde porte en fer, c'est encore pire. Et cette odeur ! Ca sent comme moi quand je suis arrivée à la capitale après une journée de cheval : la sueur macérée. Cela ajouté à un effluve que je ne reconnais pas.

Priétée et moi échangeons un regard rond. Face à nous, des femmes et des hommes dansent d'une manière bizarre au centre de la pièce aux murs et au plafond en pierre. Cela n'a rien à voir avec les valses que l'on apprend dans l'Enceinte. Ici, les corps, pourtant peu vêtus, comme le veut la mode d'ici, se frottent les uns contre les autres, remuent langoureusement, provoquant une sensation étrange dans mon propre corps. Les hanches bougent au rythme effréné de la musique, à tel point que je ne comprends pas comment elles ne se sont pas encore disloquées. Les danseurs ne sont pas droits et guindés comme dans les valses que je connais, mais ont les pieds bien ancrés dans le sol et les genoux souvent pliés. Comment est-il seulement possible d'utiliser son corps de la sorte ?

Je détourne mon regard pour me concentrer sur le comptoir à notre droite, tout en bois et devancé de hauts tabourets faits du même matériau. Des personnes y sont accoudées. Certaines boivent tranquillement leur verre, perdus dans leurs pensées, pendant que d'autres boivent aussi, mais en regardant nonchalamment les danseurs tout en remuant leur tête sur la musique.

Priétée et moi nous regardons de nouveau, nos visages parsemés d'ombres chatoyantes. En effet, les lieux ne sont que faiblement éclairés par des chandeliers posés ici et là et suspendus au plafond. Je fais un geste de la tête en direction de la sortie et mon amie acquiesce vivement, les yeux écarquillés.

— Mais c'était quoi, ça ? s'exclame-t-elle quand nous retrouvons l'air respirable de l'extérieur.

— J'ai l'impression de ne plus rien entendre tellement la musique était forte, renchéris-je en ayant encore du mal à entendre ma propre voix.

Mes tympans me paraissent comme recouverts de coton. On n'a pas idée d'écouter du bruit aussi fort !

— Et cette danse, comment est-elle humainement possible ? ajoute Priétée.

— Rien que penser à faire de tels mouvements, j'ai peur de me casser les genoux et de me déboîter les hanches !

— Et tous ces gens si... proches les uns des autres, c'est...

— Etrange... terminé-je à sa place.

Elle hoche rapidement la tête et nous décidons d'un comment accord de rejoindre le quartier des rescapés. Il est encore trop tôt pour que nous prenions du plaisir à cette coutume d'ici consistant à aller décompresser au bar. Chaque chose en son temps !

Tu seras la MortWhere stories live. Discover now