Chapitre 20 (part 2)

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Lorsque nous rentrons à la maison, peu de temps après, Siène n'est pas encore rentré. Tant mieux. Cela n'empêche cependant pas le poids sur mon ventre de s'alourdir un peu plus. J'attrape ma montre : 15 h. Mon ventre se met à gargouiller. Je n'ai pas mangé depuis ce matin. Alghéna non plus.

— Ça vous dit de vous joindre à moi pour boire un thé accompagné de tartines de confiture ? proposé-je alors à ma gouvernante.

Cela la prend au dépourvu. D'ordinaire, ce sont les amies qu'on invite à boire le thé. Mais comme je n'en ai pas, Alghéna est ce qui s'en rapproche le plus. Celle-ci regarde l'heure à son tour sur la montre discrète qu'elle porte au poignet.

— Je suppose que je peux rester un petit moment avec vous, oui.

Puis elle file faire chauffer de l'eau tandis que je m'installe à la grande table du salon et que je sors le pain et les chouquettes. Alghéna revient quelques minutes plus tard avec un plateau sur lequel se trouvent deux tasses sur des petites assiettes, une théière fumante et un pot de confiture de fraises. Elle dispose le tout devant nous et s'assied enfin. Je m'empresse alors d'attraper la théière avant qu'elle n'ait le temps de le faire.

— Vous n'êtes pas obligée de nous servir, madame, je peux le faire, dit-elle alors, gênée.

— Ça me fait plaisir, ne vous en faites pas.

Elle me alors faire et coupe des tranches de pain. Puis elle nous prépare les tartines et je la regarde faire en soufflant sur mon thé pour le refroidir. Les chouquettes m'attirent alors l'œil et j'en prends une. Ça ressemble à des choux nature recouverts de boulettes de sucre. Je croque dedans.

— Oh ! C'est vraiment très bon ! m'exclamé-je avant même d'avoir avalé.

Me rendant compte que cela est malpoli et indigne d'une femme, je me hâte de mettre une main devant ma bouche. Heureusement, Alghéna a l'air de n'avoir que faire de mon impolitesse.

— C'est vrai ? Quel goût ça a ? me demande-t-elle alors, les yeux soudain pleins d'étoiles.

— Vous ne le savez pas ? Je suis vraiment très mauvaise pour décrire des goûts.

Elle se rembrunit légèrement.

— Non, je suis une Basse Classe, ça ne fait pas partie des aliments que j'ai le droit de manger.

— Excusez-moi... Vos parents étant boulangers, je pensais qu'une exception était faite pour eux et leur famille.

Alghéna secoue la tête.

— Non. Ils peuvent goûter ce qu'ils vendent pour s'assurer du goût, mais pas avaler. Et encore moins en faire profiter leurs enfants. Cependant, en tant que boulanger, ma famille a droit à une plus grosse ration de croissants !

L'enthousiasme qui transparait dans sa dernière exclamation m'arrache un sourire. Tout comme je suis heureuse lorsque je sens l'odeur réconfortante du pain, elle est heureuse en pensant aux croissants supplémentaires qu'elle avait quand elle vivait encore chez ses parents.

Je croque dans une nouvelle chouquette et surprends le furtif regard qu'Alghéna lance à la viennoiserie avant de mordre dans sa tartine. Je réalise alors que je suis égoïste. Je ne devrais pas manger devant elle un mets qui lui est interdit. J'avale difficilement ma bouchée et bois une gorgée de thé. Un détail me revient alors à l'esprit. Le motif de la condamnation de Satianée. La tasse toujours à ma bouche, mes yeux passent du sachet de chouquettes à Alghéna et inversement. Mon cœur s'emballe. Ma respiration devient légèrement saccadée. Non... Ce serait de la folie...

Ou alors le moyen d'expier mes fautes. De me racheter pour cette tasse que j'ai lancée.

Sans plus réfléchir, je m'empare d'une chouquette et la dépose devant ma gouvernante. Celle-ci lève vers moi un regard déconcerté.

Tu seras la MortWhere stories live. Discover now