Chapitre 41 (partie 2)

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Tiaffa me fixe un moment d'un air interdit avant d'exploser de rire. Puis elle me tend le bras et me dit, encore pliée en deux :

— T'es jalouse ? Tu veux serrer l'un de mes nombreux doigts ?

Cette fois, c'est à mon tour de l'observer sans rien dire, avant qu'un rire ne remonte du fond de ma gorge. Message reçu. Tiaffa rit autant d'elle que des autres, et cela me fait étrangement relativiser les choses.

Lorsque nos rires se calment, Jarem prend la parole :

— Ta sauveuse ? veut-il savoir alors que son regard passe de Tiaffa à moi et inversement.

— Ouais. Je me suis fait avoir par une arachnoïde en accompagnant Lénée à Sidonia. Et cette folle a fait demi-tour dans la forêt qui grouillait de ces atrocités pour venir sauver mon cul.

Jarem sourit, mais n'a pas l'air surpris le moins du monde.

— Au fait, comment s'est passé ton entretien pour intégrer les infiltrés ? me demande-t-il ensuite.

— Les infiltrés ! s'exclame Tiaffa. Mais nooon ! Lénée, tu m'avais caché que tu voulais faire ça ! Pourquoi t'as pas plutôt choisi de venir bosser dans un camp de secours ? Je te voulais comme coéquipière moi ! Mais je ne pensais pas que tu te destinais à ce genre de métiers !

— Tu ne m'as pas posé la question en même temps et ça fait une semaine qu'on ne s'est pas croisées...

— Ah, c'est pas faux, c'est pas faux... Et donc, ces bouseux d'infiltrés t'ont acceptée parmi eux, j'espère ? Je te jure que je vais les voir pour leur dire ce que t'as fait pour moi si c'est pas le cas !

Je lâche un petit rire et un sourire sincère étire mes lèvres. Je suis heureuse d'entendre de tels propos à mon sujet pour la première fois de ma vie. Peu importe le niveau de langage dans lequel ils sont dits. Seul le fond de ces paroles compte.

Jarem me scrute, lui aussi attend ma réponse avec impatience. Priétée, quant à elle, se mord les lèvres pour s'empêcher de lâcher le morceau à ma place. Ce moment est le mien, je l'ai mérité, je l'ai gagné par la seule force de ma volonté, j'ai le droit de vouloir annoncer cette bonne nouvelle moi-même et mon amie le comprend parfaitement.

— Ils ont été difficiles à convaincre, mais finalement l'un des supérieurs a accepté de me prendre dans son groupe.

— Putain ! s'exclame Tiaffa. Ces culs serrés ont donc finalement quand même un minimum de jugeote ! Je suis contente pour toi, ma sœur ! Pour l'occasion, on va se bourrer la gueule tous ensemble ce soir !

Mon sourire s'efface soudain et mes yeux s'agrandissent. Comment a-t-elle pu passer de « félicitations » à « on va boire de l'alcool pour se rendre malades juste pour s'amuser » ? Jarem se marre.

— Fais pas cette tête, Lénée, c'est quelque chose que les gens font pour s'amuser et se détendre ici, et aussi pour célébrer de bonnes nouvelles.

— Heu... je vois... alors, pourquoi pas... je suppose. Surtout que nous avons en réalité deux bonnes nouvelles à fêter, leur apprends-je en me tournant vers Priétée.

— J'ai été accepté dans la section médicale, déclare-t-elle, tout sourire.

Et je lis la fierté dans son regard. Une sensation chaleureuse s'empare alors de moi et je souris également. Je suis tellement contente pour elle. Elle sera parfaite dans son nouveau métier, j'en ai la certitude.

— Venez, on va se trouver un petit coin plus calme, déclare Tiaffa en filant vers le fond de la pièce.

Elle adresse un signe à un barman au passage et celui-ci semble comprendre ce qu'elle lui demande silencieusement, car il hoche la tête. Nous emboitons le pas de Tiaffa et, en chemin, Jarem vient se placer à mes côtés pour discuter.

— Encore félicitations. Je me doute que ça n'a pas dû être facile de convaincre un supérieur.

— Merci. Non, effectivement. Pour je ne sais quelle raison, ils avaient déjà un mauvais à priori sur moi. Heureusement, l'un d'eux a fini par changer d'avis.

— Lequel ?

— Je ne connais pas son nom à vrai dire...

— À quoi ressemble-t-il ?

— Un air nonchalant, à peine quelques années de plus que nous, de longs cheveux bruns attachés... Voilà. Je n'ai pas repéré sa mutation.

Jarem esquisse un grand sourire et je l'interroge du regard tandis que Priétée a rejoint Tiaffa et parle avec elle un peu plus loin. Et, même si je suis en présence d'un homme, qu'il marche avec moi, qu'il me parle, je ne ressens aucune animosité ni aucune crainte envers lui. C'est reposant.

— Quoi ? lui demandé-je alors.

— C'est Shallan qui t'a acceptée. Je fais également partie de son équipe. Il semble que nous n'avons pas fini de nous croiser, ma chère Lénée, remarque-t-il gentiment.

Nous croisons ensuite la route de Nolen, l'homme de ménage de la bibliothèque. Celui-ci s'arrête en me voyant et m'offre un sourire chaleureux.

— Bonsoir, vous deux, nous salue-t-il. Alors, Lénée, veut-il savoir, tu vas mieux depuis notre discussion de cet après-midi ?

Ses iris violets, presque iridescents dans l'obscurité ambiante, se posent sur moi et semblent attendre ma réponse. Un regard déstabilisant. Je ne sais pas si c'est dû à l'étrange couleur de ses yeux qui me perturbe ou le simple fait que ce soit un homme que je ne connais pas encore assez pour être entièrement à l'aise en sa présence, mais je me rappelle qu'il a effectivement été très gentil avec moi aujourd'hui et qu'en plus de ça, il avait totalement raison. Alors, je prends sur moi pour tenter de lui offrir un petit sourire plus ou moins avenant et lui réponds :

— Je fais maintenant partie des infiltrés.

Il sourit encore et, tout comme Jarem plus tôt, ne semble absolument pas surpris de l'apprendre.

— Félicitations. Et bienvenue parmi les résistants. Les vrais. Ceux qui vont sur le terrain et agissent. Tu peux être fière de toi, je suis sûr que tu parviendras à faire bouger les choses.

Contre toute attente, je sens soudain mes joues me brûler. Est-ce qu'elles... rougissent ?

Sur ces mots, il nous informe qu'on l'attend ailleurs, nous salue une nouvelle fois et prend congé. Peu à peu, la brûlure sur ma peau s'apaise et je reprends mes esprits.

C'était quoi cette réaction ? Je suis ridicule.

Je ne comprends pas ce qui se passe pendant le reste de ma soirée.

Tiaffa nous conduit dans une alcôve au centre de laquelle se trouve une petite table basse entourée de coussins. Ici, à l'écart des danseurs, le bruit est beaucoup plus supportable et nous n'avons pas besoin de crier aussi fort que dans la pièce principale pour nous entendre. Quant à l'odeur, elle me semble également moins forte.

Le barman arrive quelques minutes après notre installation avec de grands verres remplis à ras bord, un pour chacun de nous, et repart vaquer à ses occupations. Plus je bois le liquide au goût prononcé que contient mon verre et qui me fait grimacer à chaque gorgée, et plus je me sens légère, presque euphorique.

À unmoment de la soirée, je ne sais même plus de quoi nous parlons, mais pour unequelconque raison, ça me fait beaucoup rire. Tellement, que je ne parviens pasà me retenir de rire aux éclats, de rire plus fort que je ne l'ai jamais fait,que je n'ai jamais été autorisée à le faire, entourée de personnes quej'apprécie et respecte profondément. Chacune à sa manière m'est venue en aideet, pour cela, ils ont à présent toute ma confiance. Même Jarem, même un homme. 

Tu seras la MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant