Chapitre 44 (partie 1)

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Le lendemain, je suis réveillée vers 6 h par les premières lueurs du jour. Exactement ce qu'il me faut pour être à temps au Centre d'Entraînement. Priétée aussi est déjà réveillée et hors de son lit. Elle trépigne d'impatience et est déjà entièrement habillée.

— Lénée, allez, debout ! s'exclame-t-elle avant de porter ses mains à sa bouche quand elle se rend compte que Palkiar dort toujours.

— J'arrive, j'arrive, grogné-je, encore un peu dans les vapes.

— Vite, faut qu'on ait le temps de manger avant notre premier jour, insiste-t-elle.

Son entrain brille tellement qu'il pourrait illuminer toute la pièce.

— On a encore une heure devant nous, je te rappelle.

— Mais une heure, ça passe vite ! Je t'attends dans la salle commune, dépêche-toi !

À ces mots, la tornade Priétée quitte le dortoir et je lâche un bâillement bruyant, avant de me souvenir à mon tour que notre colocataire est endormi. Comme à mon habitude, j'attrape mes vêtements dans ma petite commode et me cache sous ma couette miteuse pour me changer. Lorsque c'est chose faite, je la repousse et prends une grande inspiration.

Il faisait une chaleur là-dessous !

Il est à peine 6 h et je sens déjà que la journée va être caniculaire. C'est d'ailleurs la première fois que j'utilise ce mot dans un contexte actuel. D'ordinaire, on l'entend surtout à l'école, en cours d'histoire, quand on apprend les divers forts épisodes de réchauffement climatique que le monde a subi. Mais sous les dômes, personne ne connaît réellement la canicule. Ce n'est qu'un concept pour leurs habitants. Un concept qui va, à mon avis, m'être donné de voir aujourd'hui. Il est tôt et pourtant le duvet au-dessus de mes lèvres est déjà humide. Je me lève, passe ma chaînette autour de ma taille et file rejoindre Priétée dans la pièce d'à côté, après avoir fait un court détour par la salle de bains pour m'asperger le visage d'eau fraîche.

Quelques minutes plus tard, mon amie et moi sommes déjà sur la place la plus proche, en train de faire la queue pour petit-déjeuner. Je n'ai jamais vu autant de monde ici. Certaines personnes, comme Priétée, sont de bonne humeur dès le matin et le font savoir à tout le monde, d'autres, comme moi, ont encore les paupières à moitié fermées et émergent doucement.

— Tout le monde commence à travailler à 7 h ici ou ce sont simplement des lève-tôt ? s'interroge mon amie à voix haute.

Je vais lui répondre que je n'en ai pas la moindre idée, mais une femme derrière nous intervient :

— La plupart d'entre nous commencent effectivement à 7 h, en été du moins, afin de terminer plus tôt et éviter de bosser sous une chaleur assommante.

— Oh, je comprends mieux ! Et vous faites quoi dans la vie ? lui demande ensuite Priétée, visiblement d'humeur à faire la conversation.

— Je suis agricultrice. En ce moment, je m'occupe des mimosas et parfois des cerisiers.

— Des mimosas ? répété-je.

— Des fleurs jaunes très odorantes et très jolies. On en met un peu partout en ville à cette période de l'année, pour la parfumer.

Trente minutes plus tard, après avoir avalé deux tasses de thé à la rose, je suis enfin parfaitement alerte. Ici, même les différents moments de la journée ont une odeur. Depuis plusieurs jours, mes narines sont assaillies de parfums en tout genre et, loin de me déranger – moi qui n'y suis pas habituée –, ça a plutôt tendance à me stimuler. Cette ville, à première vue en ruines avec ses immeubles gris décrépis dont il manque certains pans de murs, voire des étages complets, ses rues inégales pleines de trous lorsqu'elles n'ont pas encore été pavées, ses bancs au bois vieilli et couvert de mousse, ses vieux lampadaires souvent rouillés dans lesquels on pose des bougies pour éclairer la nuit paraît passée et, pourtant, quand les Sidoniens quittent leurs chambres pour venir grouiller entre les divers bâtiments, c'est comme si tout revivait. Les odeurs de fruits, de légumes, de fleurs, d'épices et de pain se mettent à flotter dans l'air. Les rues et les places sont ornées de végétaux de toutes les couleurs, nous faisant presque oublier l'omniprésence fade du béton. Puis, des voix s'élèvent, des rires, des murmures, des cris de joie, des piaillements d'enfants, tout cela semblant ne former qu'une seule et unique voix : celle de Sidonia. Et ainsi, tous les jours, la capitale du monde libre prend vie, devient chaleureuse et accueillante, bien loin de l'image qu'on peut s'en faire au premier abord.

Tu seras la MortWhere stories live. Discover now