Plus le temps passait, moins Jungkook allait bien. Cette soirée horrible le hantait, l'aveu qu'il avait fait à son aîné le terrifiait, et le regard de la caméra qui le suivait l'angoissait. Depuis cinq jours à présent il lui paraissait ne plus avoir droit à une quelconque sérénité. Harcelé par des pensées parasites, il restait sur ses gardes, incapable de se détendre.
Les yeux qui le surveillaient ne le quittaient pas, et aucune seconde chance ne lui serait offerte s'il venait à commettre la moindre erreur.
Jungkook répétait, distrait, sa chorégraphie. Sa gorge serrée ne lui semblait pas laisser assez d'air pour qu'il puisse s'entraîner de manière optimale, et son cœur qui battait trop vite l'essoufflait. Ses piètres performances l'agacèrent, et il fut soulagé que son bracelet se soit éteint quelques dizaines de minutes plus tôt.
Lorsqu'il s'accorda une pause, il remarqua que ses membres tremblaient. Tous ses muscles étaient tendus ; son corps ne lui appartenait plus – lui avait-il déjà appartenu ? Son stress le submergea, mêlé à la panique, tandis qu'il constatait les répercussions de ses craintes. Assis contre le miroir de la salle de danse, il se recroquevilla pour enfoncer la tête entre ses bras eux-mêmes enroulés autour de ses genoux. Il tenta de respirer profondément dans l'espoir de se calmer... néanmoins l'exercice demeura vain, et à la place d'une quelconque sérénité, ce fut de larmes qu'il fut envahi. Les premières coulèrent, entraînant à leur suite des sanglots bruyants.
Tout le terrifiait désormais, et il ignorait quand la sentence tomberait – parce qu'il serait puni, il le savait, il en était convaincu. Il voulait partir, fuir cette émission, ce pays, et découvrir avec Namjoon des endroits que la perfidie et l'argent n'avaient pas corrompus. Il voulait partir vers des terres qui lui ressembleraient, simples et paisibles.
Il en avait marre de ce jeu, il ne souhaitait pas voir ses amis mourir...
D'interminables minutes s'écoulèrent avant que le pauvre ne parvienne à calmer ses pleurs. Il garda le silence, peu désireux de reprendre l'entraînement maintenant. Il n'avait pas le cœur à danser. Peut-être vaudrait-il mieux qu'il aille en studio continuer son morceau.
Il se rendit dans celui qui était libre – l'autre, Yoongi s'y trouvait toujours.
Il tentait, oui il tentait avec le plus de ferveur possible de s'imprégner de la tranquillité qui se dégageait de ce morceau que Taehyung l'avait aidé à composer... mais ça ne venait pas. Tout ce qu'il souhaitait écrire, c'était des paroles mélancoliques, preuve de son mal-être. Tout ce qui lui venait... non, rien ne lui venait. Rien d'autre que les larmes qu'il laissait couler de manière désespérée sans pouvoir les contrôler.
Chaque fois qu'il pensait à sa mère.
Chaque fois qu'il pensait aux caméras.
Chaque fois qu'il pensait au public.
Chaque fois qu'il... qu'il pensait à Hoseok. Il ne pouvait pas s'empêcher de le revoir s'effondrer devant lui. Ces derniers jours, ces images lui revenaient souvent, pareilles à des fantômes d'un passé proche qui s'acharnaient sur lui. Un passé trop proche qui le marquait encore, blessure supplémentaire qui striait son âme. Impossible de s'en défaire.
Il y était habitué : dès lors qu'il broyait du noir, tous ses mauvais souvenirs l'assaillaient de manière brutale. Jungkook ne pouvait pas leur échapper, il n'essayait même plus. Il se savait vulnérable, trop sensible sans doute.
La mort de son père, la sévérité de sa mère, l'obstination dont elle avait témoigné pour l'inscrire ici... consciente qu'il n'avait pas l'âge requis pour ça. Puis la mort de Hoseok, et... et la soirée avec Taehyung.
Nouveaux sanglots. Lui qui s'était calmé et qui ne versait plus que des larmes silencieuses, le voilà reparti pour de longues minutes à hoqueter de détresse, étouffé par ses propres émotions. Il tenta de les maîtriser, mais la chanson devant lui l'en empêchait. Une chanson d'amitié, une chanson si sincère mais devenue mensonge. Elle l'écœurait, il voulait la modifier pour transcrire ses véritables sentiments vis-à-vis de Taehyung. Aucune haine, aucune rancœur. Simplement de la peur, de la peine, et plus encore du regret.
Il s'en détestait de craindre désormais le moindre contact avec lui, mais... impossible pour lui d'oublier cette communauté qui, par sa folie, lui a fait vivre l'enfer. Une communauté qui lui a imposé ses fantasmes, une communauté qui, parce qu'elle se moquait de ce qu'il éprouvait, avait décidé de choisir pour lui la personne à qui il confierait son corps.
Immonde.
Et pour éviter que l'enfer ne se présente à lui de nouveau, il avait préféré mettre une distance entre son meilleur ami et lui. C'était injuste pour lui, injuste pour Taehyung. Pourquoi devaient-ils, innocents, subir une sentence à laquelle échappaient les coupables ?
Taehyung et Jungkook enduraient la honte, la colère, la peur, la tristesse. Et ces faux fans... ils avaient eu droit à la séquence qu'ils attendaient avec tant d'impatience. Ils l'avaient regardée et appréciée en toute impunité. La vidéo circulait probablement déjà sur internet. Un viol sur mineur relayé, adoré, téléchargé.
Son viol.
Un haut-le-cœur manqua de le faire recracher son petit déjeuner, et quand il découvrit qu'il était midi, Jungkook préféra rester prostré dans son studio, incapable de montrer à ses aînés ce visage maculé de larmes. Il ne souhaitait pas les inquiéter, surtout pas Taehyung – car Taehyung savait que c'était leur relation qui l'avait plongé dans cet état déplorable. Jungkook aurait beau mentir, son ami ne serait pas dupe.
Il perdit une longue heure à tenter de calmer sa souffrance, et enfin il y parvint : il coucha sur papier chaque sentiment, chaque sursaut de son cœur, chaque remontée acide que lui infligeait son œsophage. Il décrivit les actes, les mots, les émotions. Il se montra honnête, dévoila son âme, et l'apaisa de cette manière.
Puis il dissimula la feuille dans un des tiroirs : jamais quiconque ne les ouvrait, et quand bien même ça devait arriver, ils n'iraient pas fouiller là où Jungkook cacha ce qui ressemblait à la fois à une chanson et à une confession.
Réconforté, il prit quelques minutes pour respirer profondément et taire ses douleurs. Maintenant qu'il les avait chassées de son cœur pour les emprisonner sur cette feuille volante, il devait passer outre dans l'espoir d'avancer. Il en était capable, il le savait.
Jungkook écrivit beaucoup ce jour-là. Il composa un peu, aussi, et il alla réclamer de l'aide auprès de Namjoon pour certaines manœuvres qu'il ne maîtrisait pas encore assez bien à son goût... ou bien dans la simple optique de profiter d'un peu de temps avec lui dans un studio à le regarder manipuler ses créations. Le maknae en effet se sentait ému que lui, son idole, s'investisse dans ses projets, le soutienne pour parfaire ses morceaux, et lui donne des conseils. Même quand Jungkook savait déjà ce que tentait de lui enseigner son aîné, il feignait l'ignorance.
Il aimait que l'attention de son ami soit tournée sur lui. Il aimait éprouver la sensation que quelqu'un tenait à lui – sensation que sa mère ne lui avait jamais apportée. Il ressentait la même chose, auparavant, lorsque Taehyung posait les yeux sur lui en lui adressant son si beau sourire.
Ainsi, lorsque vint le dîner, Jungkook se sentait mieux, et il prit plaisir à participer à la conversation que Taehyung et Namjoon menaient.
« Jungkook a carrément géré ! Ses chansons sont dingues ! lança Namjoon alors qu'il expliquait jusque-là ce qu'il avait fait au cours de sa journée. Quand le public les découvrira, il sera sur le cul !
— Hyung, t'en fais trop, rougit le maknae d'une voix timide.
— Il a raison, approuva néanmoins Taehyung, t'as un talent dingue ! Et toi, Yoongi-hyung, t'as fait quoi aujourd'hui ?
— J'ai bossé. »
Toujours aussi loquace...
« Et toi, Jimin-ah ? tenta encore le jeune garçon.
— Pareil. »
C'était désespérant, pourtant Taehyung n'en démordait pas.
« Cool, t'as bien avancé sur tes chorées, du coup ?
— J'ai écrit une chanson avec hyung, indiqua Jimin entre deux gorgées d'eau en jetant un regard à Yoongi.
— Oh, c'est vrai ? Elle parle de quoi ?
— De nous.
— D-De vous ? bégaya Taehyung, surpris.
— De notre passé, précisa Yoongi, et de notre rapport à la musique.
— Oh, cool. »
Le rappeur avait bien compris ce que Taehyung avait imaginé, si bien qu'il avait voulu désamorcer la bombe avant qu'elle n'explose : la confusion de Taehyung aurait pu provoquer celle des spectateurs, auquel cas ils auraient risqué de se douter qu'il se passait quelque chose de particulier entre les deux garçons.
Certains se posaient déjà probablement des questions, peut-être même quelques personnes avaient-elles saisi depuis longtemps ce que partageaient les deux concurrents. Peu importait, finalement. Rien d'autre que leur propre bonheur ne comptait pour Jimin et Yoongi, qui avaient décidé de profiter autant que possible des quelques journées que leur offrirait la vie. Qu'ils s'aiment ou non, ils auraient tôt fait de mourir ; autant qu'ils meurent heureux – ou à défaut, autant qu'ils ne meurent pas malheureux.
Lorsque Jungkook reprit la parole d'un air enjoué pour décrire l'importance du rôle de Namjoon dans sa nouvelle chanson, Yoongi quitta ses songes pour revenir à la réalité. Elle ne lui sembla pas si horrible. Jimin était assis à côté de lui.