Inquiet pour Jimin, Taehyung poussa timidement la porte de la salle de danse dans laquelle il savait le trouver. Son ami – il n'était toujours pas convaincu de pouvoir le considérer ainsi, mais peu importait – était assis sur le sol, en tailleur et les paupières closes. Il paraissait méditer, ou bien simplement se reposer.
« Tout va bien ? »
Jimin ne sursauta pas. Il se tourna lentement vers lui, lui adressa un regard interrogateur.
« Je m'inquiétais, c'est tout, répondit Taehyung à sa question silencieuse.
— Pourquoi ?
— T'es parti précipitamment.
— Tu trouves ?
— Oui. Quelque chose te chagrine ?
— Non. Je suis satisfait de mon score. Je suis heureux d'avoir autant de fans.
— C'était couru d'avance. Je suis heureux, moi aussi, heureux pour toi.
— Merci. Tu voulais quelque chose d'autre ?
— Euh... non, rien, balbutia-t-il. Je vais te laisser, j'imagine que tu comptais t'entraîner.
— Tu ferais mieux d'aller te reposer, lui conseilla Jimin, il est tard.
— Toi aussi, tu devrais.
— Peut-être dans la journée, je verrai.
— Et... oublie pas de manger. C'est important. T'as encore maigri.
— Bonne nuit, Taehyung.
— Bonne nuit, Jimin-ah. »
Son soupir et son air penaud trahissaient sa tristesse, pourtant Jimin ne réagit pas. Il se contenta de se retourner et de refermer les yeux. Son cadet quitta la pièce sans un mot de plus. Il traversa d'un pas lent la villa pour regagner le dortoir lorsque, passant devant la porte qui menait au jardin arrière, il entendit un son mélodieux.
Seokjin...
Après une hésitation qui se révéla courte, Taehyung poussa le battant. La lumière blafarde du couloir éclaira difficilement les premiers mètres de pelouse avant de se laisser dominer par la nuit ténébreuse. Quelques rares silhouettes s'en détachaient : les arbres au fond du jardin, ainsi que celle, frêle mais fière, du plus vieux.
Sa voix perçait le silence à la manière d'une étoile qui trouait la voûte céleste. L'air était triste, les notes aigües, lancinantes. Taehyung le soupçonnait d'avoir ralenti le rythme pour mettre l'accent sur sa mélancolie.
Nouvelle hésitation ; malgré ses chaussons, il se décida finalement à poser un premier pied sur l'herbe que la nuit avait refroidie, et il n'esquissa que deux pas avant que son bracelet n'émette le signal lumineux qui prouvait qu'il était désormais observé par le monde entier. Seokjin cessa de chanter lorsque le sien s'alluma également. Il fit volte-face en entendant son cadet approcher et le toisa un court instant.
« Qu'est-ce que tu fais ici ? lui demanda-t-il.
— Je t'ai entendu chanter...
— Je chante toujours. Quand je suis heureux, je chante, et quand ça va moins bien, je chante aussi.
— Oui, mais c'est pas la même chanson dans les deux cas.
— Effectivement. Et ? Je... je te fais pitié, c'est ça ? soupira Seokjin.
— Non. Je me suis dit qu'on pourrait chanter ensemble.
— Je suis pas d'humeur pour un truc enjoué.
— On chantera ce que tu veux. »
Se rapprocher de quelqu'un de bien classé assurait une hausse de popularité, ça avait souvent été démontré – et ça ne surprenait personne : être apprécié d'un chouchou du public amenait nécessairement à être également apprécié de ce dernier. Seokjin pourtant se sentait sale à l'idée d'utiliser son cadet ainsi.
« Ils vont penser que je fais ça pour éviter la mort.
— Ils auraient tort, répliqua Taehyung. Depuis le début on prépare à manger ensemble, on discute ensemble, on a chanté ensemble en faisant la vaisselle plus d'une fois... c'est pas leur regard qui va changer la façon dont je te perçois.
— Je sais que je serai le premier à mourir.
— Dis pas ça.
— J'ai tort, peut-être ?
— De te morfondre sur ton sort, oui. On va tous mourir un jour, y a que l'ordre dans lequel on va clamser qu'on ignore encore. Alors oui, tu vas mourir, et tu sais quoi ? Moi aussi, je vais mourir. Tu veux un autre scoop ?
— Te moque pas, je suis sérieux.
— Moi aussi. On est dans un bel endroit, notre mort ne sera pas douloureuse, et on peut profiter de nos derniers jours pour se lancer à fond dans la musique. Où est le mal ? Est-ce que c'est réellement si terrible de crever ici ?
— J'avais pas vu les choses sous cet angle... J'avoue que... dit comme ça, ça me remonterait presque le moral. »
Taehyung lui adressa un sourire radieux. Il lui tendit la main.
« On devrait enregistrer quelque chose, proposa-t-il, n'importe quoi. Un truc qui vivra encore quand nous on ne vivra plus. Internet n'oublie jamais. »
Seokjin afficha une moue pensive un très court instant avant qu'un sourire ne naisse aux coins de ses lèvres. Il lui serra la main.
« Internet n'oublie jamais, approuva-t-il, allons lui donner quelque chose qui viendra de nos tripes. »
Taehyung sourit plus que jamais et prit l'une de ses mains dans les siennes pour le tirer en arrière avec un air enthousiaste. L'aîné se laissa traîner, amusé de ce comportement, et ils rejoignirent un studio libre. Il fut décidé qu'ils enregistreraient la chanson composée par Seokjin à l'occasion des performances présentées un peu plus tôt dans l'après-midi. Le plus vieux chanterait, son cadet se chargerait des chœurs.
« T'as pas un fichier audio pour la musique ? s'enquit Taehyung en préparant le matériel. On chante a capella ?
— Non, j'ai mieux. »
L'autre se tourna pour l'interroger quand il le vit attraper un objet abandonné dans un coin de la pièce. Une guitare, une banale guitare.
« J'aime l'idée de proposer quelque chose de simple, quelque chose de sincèrement beau, révéla Seokjin, et... je veux que le seul instrument qui m'accompagne, ce soit moi qui en joue. J'avais peur de faire une fausse note en direct, cet après-midi... mais là, je sais que ça ira. J'aurai aucun mal.
— C'est une super idée, ouais. »
Touché de voir son ami s'impliquer autant pour ce morceau, Taehyung comprenait à quel point elle comptait pour lui. Sans un mot de plus, ils achevèrent les préparatifs et l'enregistrement put débuter. Chacun souhaitant que ce soit parfait, ils s'éternisèrent, et ce ne fut qu'au milieu de la nuit qu'ils se séparèrent, une fois la chanson terminée. Taehyung, ravi, quitta Seokjin en lui offrant une étreinte et un encouragement, l'autre lui répondit avec un sourire ému et un regard qui trahissait ce qu'il éprouvait pour ce garçon qui, bien que plus jeune que lui, avait su lui faire entendre la voix de la raison.
Taehyung sortit de la pièce le premier. La porte close, son bracelet désormais éteint, Seokjin poussa un soupir qui se mêla à ce qui ressemblait à un sanglot.
« J'ai fait quelque chose, murmura-t-il, j'ai agi, j'ai laissé une trace. Quiconque vient ici laisse une trace. Je mourrai jamais vraiment. »
Il tentait de se raisonner, pourtant ses yeux revenaient irrémédiablement à son poignet.
L'aiguille indiquait cinquante-cinq pour cent.
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Semaine 2 – Jour 1
Taehyung ouvrit les yeux avec un sourire qui s'élargit lorsqu'il constata qu'il était passé à quatre-vingt-huit pour cent de popularité. Ce n'était presque rien de plus, mais c'était la preuve qu'il avait de plus en plus de fans. Peu importait que sa notoriété stagne ou augmente, tout ce qui comptait, finalement, c'était qu'elle ne diminue pas.
Il quitta son lit pour se rendre à la cuisine, convaincu d'y croiser Seokjin. Ce dernier, cependant, ne s'y trouvait pas. Seul Namjoon y était, en train de manger avec une moue fatiguée.
« Bonjour, hyung, le salua Taehyung, Seokjin dort encore ?
— Non, j'étais seul au dortoir en me réveillant. Pourquoi ? T'as besoin de quelque chose ?
— Non, je voulais juste m'assurer qu'il allait bien. Tu sais où il est allé ?
— Aucune idée. Le connaissant un peu, je dirais le studio ou le jardin. »
Son cadet le remercia et fila à l'endroit indiqué, convaincu qu'il avait plus de chances de l'y trouver : si lui-même devait bientôt périr, Taehyung préfèrerait passer ses instants dans une nature paisible que dans un studio étriqué. Cependant, une fois dehors, pas de traces de Seokjin. Les montagnes s'élevaient de manière hautaine vers le firmament clair de l'aube, et une brise tranquille faisait mugir les arbres, craquer les feuilles. Des branches s'entrechoquaient par moment, et à ces murmures s'ajoutèrent ceux de l'herbe sous les chaussons de Taehyung.
Il se demanda s'ils étaient autorisés à s'enfoncer dans la forêt, si Seokjin avait eu l'audace d'essayer, mais il comprit que ce n'était pas le cas lorsqu'il entendit un sifflement d'une touchante justesse, provenant de l'autre jardin, celui à l'avant de la villa. Il contourna par l'extérieur pour découvrir son aîné debout au bord de la rivière, si près que son cadet s'inquiéta qu'il y chute accidentellement.
Leurs deux bracelets brillaient, et Taehyung craignit qu'appeler son ami ne risque de le faire sursauter puis tomber à l'eau. Le bruit de ses pas, néanmoins, le trahit sans qu'il ait eu à prendre une décision. La mélodie de son sifflement cessa, il parut hésiter mais se retourna, et Taehyung crut que son cœur dégringola : le visage trempé de larmes, Seokjin dut passer une manche sur son regard pour distinguer celui qui l'approchait.
Taehyung sentit immédiatement les larmes lui monter aux yeux, à son tour. Il avait compris.
« Hyung...
— Merci pour tout, Tae. Merci d'avoir été... un si bon ami, sanglota Seokjin alors que naissait un sourire sincère sur ses lèvres.
— Non... tu peux pas... pas si vite. »
Des pleurs secouèrent le corps de son ami.
« T'as raison, admit-il. Ça a été court, mais j'ai vécu mon rêve. Merci de m'avoir permis de le comprendre. »
Les larmes tracèrent sur les joues de Taehyung un long sillon presque invisible que le soleil levant illumina. Seokjin, malgré ses propres sanglots, souriait. Il dirigea un regard sur son bracelet, véritable montre lui indiquant l'heure de son trépas, et il se mordit la lèvre.
« Hyung, à combien tu... »
Taehyung fut coupé : les traits de Seokjin changèrent tout à coup pour exprimer ce qui ressembla à de la douleur, et l'instant d'après ils se figèrent. Les genoux du jeune homme se dérobèrent.
« Jin ! »
L'aîné s'écroula, sa chute s'acheva sur une éclaboussure magistrale alors que Taehyung, impuissant car bien trop loin, assistait avec horreur à cette scène qui, pourtant douce, recélait une violence sans pareil.
Une main devant la bouche, la respiration coupée par le choc, il fixait le vide où se tenait cinq secondes plus tôt Seokjin.
Je rêvais un futur sans y croire vraiment.
Une famille à fuir, un vœu à exaucer,
Et malgré les nuages, je t'ai rencontré.
Auprès de toi, Taehyung, je me sentais vivant.