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Mardi 10 décembre 2019

Désolé, je me suis endormi hier soir. J'ai révisé jusqu'à plus de minuit et après j'étais trop fatigué pour t'écrire.

Je viens de relire ce que je t'ai raconté hier, la suite va être un peu plus triste.

Je ne sais pas combien de temps j'ai attendu Louis devant le cimetière. Je n'ai pas fait attention à l'heure, mais je crois longtemps, car quand il est revenu, il faisait nuit depuis un moment déjà. Je lui ai demandé si ça allait, il a simplement hoché la tête. Ça n'allait pas, ma question était stupide. Comment il aurait pu aller bien, après être aller voir son frère et son père qui sont morts et enterrés dans un cimetière ?

J'aurais aimé pouvoir conduire, qu'il ne soit pas obligé de se concentrer sur la route, mais je n'ai pas mon permis. Le trajet était silencieux. Il n'a pas parlé et je n'ai pas cherché à le faire non plus.

De retour à l'hôtel, on s'est directement couché dans le lit. J'ai remonté la couette sur nous, il s'est blotti contre moi, vraiment, comme s'il cherchait à se fondre dans mes bras. J'ai caressé son visage, ses cheveux, son dos, pendant presque plus d'une heure, sans rien dire. Ni lui, ni moi. Il n'avait pas besoin d'entendre de mots réconfortants, parce que des mots réconfortants pour une situation comme celle-là, ça n'existe pas. Mais les gestes comptent, eux. Je l'ai serré contre moi aussi longtemps qu'il en avait besoin et j'ai essuyé ses larmes quand il n'arrivait pas à les retenir.

C'est lui qui a brisé le silence. Il m'a reparlé de la veille, des histoires qu'on avait inventé sur cet hôtel. Il m'a demandé si vous étiez toujours là, Evan et toi, si je croyais que c'était possible que vous soyez encore piégés dans notre monde. Il m'a demandé si parfois, je ressentais ta présence.

J'ai un peu réfléchi avant de lui répondre, parce que je n'étais pas sûr de connaitre la réponse. Je ne ressens pas ta présence, je sais que tu n'es plus là, mais des fois j'ai l'impression que tu es un fantôme invisible qui reste toujours à mes côtés. Comme la fois au bord du terrain de basket. Je crois que je ressens ta présence dans les yeux des autres, quand ils me regardent.

Je ne sais pas ce qu'il y a après la mort, personne ne le sait. Mais je suis sûr qu'Evan et toi êtes libres, je sens au fond de moi que vous n'êtes plus dans notre monde. Je ne sais pas où vous vous trouvez réellement, mais je sais que vous êtes en paix et heureux et que vous veillez sur nous.

Louis m'a répondu que lui non plus, ne sentait pas la présence d'Evan. Pas physiquement. Dans son esprit et dans son coeur seulement. On s'est rassuré l'un l'autre en vous imaginant libérés et apaisés. On a imaginé une lumière blanche, vous emmenant ailleurs, dans un endroit fait pour vous.

Cette nuit-là était vraiment triste. Tendresse. Amour. Réconfort. Câlins. Bras. Couette. Silence. Mots. Gestes. Et pluie. Il pleuvait et quand on était silencieux on entendait qu'elle. Je crois que ça a apaisé Louis, il aime la pluie. Moi aussi.

Tu sais, Evan et Louis avaient parlé de leur mort. Après celle de leur père, ils en ont discuté. Si l'un d'eux venait à mourir, celui qui restait avait l'interdiction formelle de se suicider, il devait vivre. Il devait rester fort pour leur mère et leurs petites soeurs.

Pourquoi on en n'a jamais parlé toi et moi ? Si on l'avait fait j'aurais su comme réagir, je ne me serais pas senti aussi perdu. Pourquoi on n'a jamais imaginé, que l'un de nous deux pouvait mourir ? Pourquoi on ne s'est pas préparé comme Louis et Evan l'ont fait ?

Je sais que je n'aurais pas eu moins mal, mais au moins je ne me serais pas posé la question de savoir si je devais mourir ou pas, si je devais te rejoindre ou rester. J'aurais su que j'avais le droit de vivre. Le savoir aurait peut-être rendu certaines choses un peu moins difficiles dans ma tête. Je me serais peut-être senti un peu moins coupable d'être encore en vie.

Pendant ce week-end, notre lien avec Louis s'est renforcé, je me sens encore plus proche de lui maintenant. Après ton départ, je ne pensais pas que-

Je cherche mes mots, je ne sais pas comment t'expliquer ce que je ressens.

Toi et moi on avait un lien unique parce qu'on était jumeau. On aimait toute notre famille et nos amis, mais le lien qu'il y avait entre nous était différent des autres. On n'avait pas le même avec Brooke, papa, maman, ou n'importe qui d'autre. Avec Louis, j'ai l'impression de retrouver un petit peu ça. Ce sentiment que le lien qui nous unit est unique, qu'on ne le partage avec personne d'autre. Je ne pensais pas ressentir quelque chose comme ça à nouveau un jour.

Je suis amoureux de lui et je crois que lui aussi, il est amoureux de moi. On ne se l'est jamais dit, mais ce week-end, c'est moi qu'il a voulu à ses côtés pour traverser une autre épreuve, pour ne pas être seul. Pour moi ça veut dire beaucoup.

Voilà, je crois que je n'ai rien oublié, je t'ai tout raconté.

Louis m'a partagé son monde. Il reconduit et maintenant il a assez confiance en lui pour prendre des passagers. Je suis fier de lui. Je sais que je te le dis souvent ça, mais tu vois, ça aussi c'est quelque chose qui me donne l'impression que le lien qu'il y a entre nous est différent des autres. On est fier l'un de l'autre pour des choses que beaucoup de gens ne comprendraient pas, tellement elles semblent insignifiantes. Pas pour nous, pour nous rien n'est insignifiant.

Un pas à la fois, une étape après l'autre, un jour par un jour.

J'aime notre lien, j'aime me sentir fier de Louis, parce que ça veut dire qu'il avance. J'aime avancer à ses côtés, parce qu'il me donne la force de faire la même chose.

Cette fois, je te laisse pour de vrai. Je suis fatigué.

Je ne sais pas si tu es réellement entré dans une lumière blanche, mais cette image me plaît. Comme celle de la lune.

Bonne nuit Railey

Sans ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant