Page quatre-vingt-sept

172 40 10
                                    

Jeudi 2 mai 2019

Hier on était le 1er mai, tu es mort depuis sept mois. Plus de la moitié d'une année.

Alan était là vu qu'on était mercredi, même s'il était venu la veille. Je n'ai pas prononcé un seul mot. Ni à lui, ni à maman, pas même à papa alors qu'il vient rarement. Je n'ai pas parlé de toute la journée. Je m'en fous si Alan pense que j'ai fait un pas en arrière. Ou même cent.

Je sais qu'ils sont tous venus te voir au cimetière. J'en ai marre que tu sois mort et de devoir subir tout ça.

J'ai dû me peser aujourd'hui, je n'ai pas grossi. Le docteur Drews a essayé de me rassurer en me répétant encore et toujours la même chose. Les chiffres sur la balance ne sont pas les plus importants, qu'il sait que ces derniers jours n'ont pas été faciles pour moi. Et blablabla. Je n'avais pas envie de l'écouter. Je m'en fous de ce qu'il dit ou pense, lui aussi. Je m'en fous de savoir que mon corps peut réagir différemment si je ne vais pas bien, que je suis contrarié ou que je me sens mal.

J'avais envie de casser cette fichue balance, de sauter dessus à pieds joints jusqu'à ce qu'elle se brise en mille morceaux et qu'elle disparaisse. J'ai mangé et je n'ai pas grossi et si je ne grossis pas, je ne sortirai jamais d'ici. Je veux grossir pour partir. Je m'en fous de tout le reste. Je veux rentrer à la maison.

Cet après-midi j'ai allumé mon portable, c'était la première fois depuis que maman me l'a apporté. Je ne sais pas vraiment pourquoi je l'ai fait, mais je me suis senti soulagé quand j'ai vu que j'avais plein de messages de Max et Adam. Ils ne m'ont pas oublié et ils n'ont pas l'air fâchés contre moi. Je crois que je leur manque, eux aussi ils me manquent. Je n'avais pas le courage de leur répondre, mais Max était connecté, il a dû voir que je l'étais moi aussi car il m'a appelé. J'ai hésité quand mon téléphone s'est mis à sonner, mais j'ai fini par décrocher. On a un peu parlé, mais pas de ce que j'ai fait.

J'aimerais être avec lui maintenant, peut-être au terrain de basket près du lac, ou au Jys'k, ça me manque d'aller là-bas. J'aimerais bien boire un de leur milkshake au chocolat en jouant au babyfoot. J'aimerais qu'Adam soit là, et Seth aussi. Et même Sarah avec toutes ses copines. J'aimerais être partout sauf ici. Ils me manquent, mais je crois que j'ai trop honte pour les revoir. J'ai peur que plus rien ne soit jamais comme avant. Ça ne pourra plus jamais l'être sans toi, de toute façon. J'ai honte de moi. Toi, tu préférais les milkshakes à la vanille.

Je suis en colère aujourd'hui, je suis fatigué d'être en colère. J'en ai marre de tout.

Je vais essayer de dormir, il est tard, je n'ai plus envie de penser. Bonne nuit.

— Harry

Sans ToiWhere stories live. Discover now