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Dimanche 27 octobre 2019

Louis m'a embrassé. C'était... je crois que je n'ai pas de mots pour le décrire. Mieux que tout ce que j'aurais pu imaginer, même si je n'avais jamais rien imaginé.

Je ne sais plus si je te l'ai dit, mais j'ai un projet à réaliser pour le cours de photographie. « Le futur. » On doit prendre dix photos qui représentent le futur à nos yeux. Le professeur nous a donné carte blanche sur notre interprétation. On peut photographier ce qu'on veut, tant qu'on est capable d'y trouver un lien avec l'avenir.

Quand il nous a annoncé ce projet, ça a été dur pour moi. Au début, je ne savais pas quoi faire, ni quoi choisir, j'ai même eu envie d'abandonner le cours. Il y a pas longtemps encore, je n'arrivais même pas à penser au futur, à imaginer que je pouvais en avoir un sans toi. Alors le photographier ? C'était impossible pour moi.

Je commence doucement à accepter que j'ai le droit de vivre même si tu n'es plus là. Je ne suis toujours pas sûr d'en être réellement capable. Pourtant je vis, je respire. Que je le veuille ou non, que j'en sois capable ou pas, il y a un futur, un avenir, qui m'attend. C'est pour ça, que je n'ai pas quitté le cours.

Je ne sais pas exactement comment m'est venu l'idée. Mardi après-midi, on étudiait à la bibliothèque du campus avec Louis. J'ai sorti l'appareil que le lycée m'a prêté et je l'ai pris en photo. Il ne l'a même pas réalisé tellement il était concentré sur son ordinateur. Un peu plus tard, il s'est levé pour aller chercher un livre, j'ai recommencé, pendant qu'il était de dos entre les étagères. En revenant, il a vu mon appareil posé sur la table, il m'a regardé intrigué. Je lui ai expliqué le devoir que j'avais à faire et il s'est prêté au jeu tout le reste de la semaine. Il m'a laissé le photographier n'importe quand, quand je voulais.

J'ai choisi de ne faire que des photos en noir et blanc. Je commence de mieux en mieux à maîtriser tous les réglages.

Louis n'est pas mon futur, mais pour moi il le représente. Je rêve de devenir étudiant, je rêve de savoir ce que j'aimerais faire de ma vie, comme lui sait ce qu'il veut faire de la sienne. Je veux réussir à me relever comme lui l'a fait. Même si on rechute tous les deux parfois. Puis si je dois vraiment avoir un futur, alors j'ai envie qu'il en fasse partie, qu'il fasse partie de la vie qui m'attend devant moi, comme dans celle qui est déjà là aussi. Je n'arrive pas encore à me projeter dans un avenir lointain, mais grâce à Louis je réussis à penser à l'année prochaine. Pour moi c'est déjà beaucoup.

Voir Louis vivre, me donne envie de vivre moi aussi. C'est pour ça que je l'ai choisi pour mon projet, il représente un futur que j'aimerais avoir.

J'ai pris environ une cinquantaine de photos de lui. Pourtant hier soir, j'ai encore eu envie de le photographier. Je crois que ce n'était pas pour le cours cette fois, mais pour moi. On était sur la banquette arrière de sa voiture. L'endroit où on s'installe souvent pour parler, après avoir passé la journée à étudier. L'endroit où on s'est installé le jour des un an de ta mort, quand je n'allais pas bien. L'endroit où on a parlé d'Evan et toi pendant des heures. Louis et moi, on ne peut pas avoir un futur sans parler de vous, sans vous, sans votre souvenir. Personne ne comprendra cette photo-là, mais elle te représente toi, dans mon futur.

Il faisait nuit, mais grâce aux lampadaires sur le parking, il avait une belle lumière sur le visage. J'ai sorti mon appareil et j'ai pris plusieurs clichés. J'aime le regarder à travers l'objectif. (C'était vraiment nul comme phrase, ça fait vraiment artiste torturé. J'ai honte de l'avoir écrit. Oublie-la s'il te plaît.)

Il était allongé, sa tête contre la portière et moi assis sur lui. Il m'a dit que j'avais l'air d'un vrai photographe professionnel comme ça. Je lui ai répondu que je n'étais pas certain que les  vrais photographes professionnels prennent leurs photos dans notre position. Ça l'a fait rire. Je me suis penché en avant pour remettre correctement une mèche de cheveux qui tombait devant ses yeux, c'est à ce moment-là que l'ambiance a changée. J'ai baissé les yeux vers lui, il regardait mes lèvres, j'ai senti mon coeur se mettre à battre plus vite. Et c'est arrivé.

Je n'ai pas envie de te raconter, parce que c'est personnel, ce moment n'appartient qu'à Louis et moi. Mais je sais que tu me comprends, toi non plus tu ne me racontais jamais en détails ce qu'il se passait avec Sarah. C'était privé.

Les papillons dans le ventre existent réellement, je te crois maintenant. Louis m'a embrassé, puis j'ai embrassé Louis. Depuis, je n'arrête pas d'y penser. Tout le temps. Le matin quand je me lève, jusqu'au soir quand je me couche. J'ai envie que ça arrive encore, j'aimerais qu'il m'embrasse une nouvelle fois, que ça ne s'arrête jamais. Tu crois que c'est normal ? Maintenant je comprends pourquoi les couples passent leur temps à s'embrasser au lycée. Partout, dans la cour, dans les couloirs, devant leurs casiers, parce qu'embrasser quelqu'un c'est vraiment trop bien. Embrasser Louis c'est vraiment trop bien.

Les vacances sont terminées, je retourne en classe demain. J'ai hâte de développer toutes les photos que j'ai prises, c'est ce qu'on va apprendre mercredi, le développement.

Tu es parti et peu de temps après Louis est entré dans ma vie. Je ne sais pas si c'est toi qui me l'a envoyé, qui l'a mis sur ma route. J'aime le croire, alors merci pour ce cadeau Railey, car sans lui tout serait encore plus dur.

Bonne nuit, fais de beaux rêves et pardon pour tous les beurk, les yeux au ciel et prenez une chambre, que j'ai pu sortir quand je te voyais embrasser Sarah. Je comprends maintenant.

— Harry

Sans ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant