Page cent-trente-quatre

168 35 18
                                    

Mardi 13 août 2019

Louis m'a appelé cette nuit, à 1h du matin. J'étais encore à moitié endormi quand j'ai décroché, il m'a fallu plusieurs secondes avant de réaliser que c'était lui. J'entendais une respiration forte et des sanglots, je me suis redressé tout de suite, paniqué. Je n'arrêtais pas de lui demander ce qu'il se passait, mais il n'arrivait pas à me répondre. Il a réussi à me dire qu'il n'était pas loin du Diner, comme s'il était perdu. Je lui ai dit de ne pas bouger, que j'arrivais le plus vite possible. Je n'ai pas raccroché tant qu'il ne m'a pas promis de m'attendre.

J'étais en colère de ne pas avoir ma moto. Si je l'avais eu, j'aurais pu rejoindre Louis en quelques minutes à peine. J'ai hésité, mais j'aurais perdu trop de temps à chercher les clefs.

J'ai pris mon vélo et j'ai pédalé aussi vite que je pouvais, je crois que j'ai mis moins de vingt minutes pour arriver au Diner. J'ai fait le tour du parking, mais il n'était pas là. J'ai aperçu son vélo tout rouillé sur le bord de la route, le long de la forêt. Tu n'imagines pas la peur que j'ai ressenti. J'ai pédalé encore plus vite, en priant pour qu'il ne lui soit rien arrivé. Il était là, quelques mètres plus loin, debout au bord de la route, lui aussi. Je l'ai appelé, mais il ne s'est pas retourné. J'ai lâché mon vélo sur le côté avant de le rejoindre.

Quand je me suis retrouvé face à lui, j'ai eu comme un choc. Son visage était couvert de sang, il avait une plaie ouverte sur le front. Ses yeux étaient perdus dans le vide, j'étais devant lui, mais il ne me voyait pas. Je l'ai appelé plusieurs fois, j'ai prononcé son prénom encore et encore, c'est seulement quand j'ai touché son bras, qu'il est revenu à lui. Il a posé son regard sur moi, ses yeux n'étaient plus vides, ils se sont remplis de larmes et il tremblait.

Je lui ai demandé plusieurs fois ce qu'il s'était passé, mais il n'arrêtait pas de répéter en boucle les mêmes mots.

« Un an, un an. Il y a eu une voiture, j'ai eu peur. L'accident. »

Et d'autres aussi, mais qui allaient tous dans le même sens.

Un an. Voiture. Accident.

Il s'est mis à pleurer et à trembler encore plus fort. Sa plaie n'arrêtait pas de saigner. J'ai tenté de lui dire qu'il fallait que je l'emmène à l'hôpital, mais il a secoué la tête en disant non, il ne voulait pas y aller. Il est presque rentré dans une crise de panique, il semblait complètement désorienté. J'ai été obligé de lui dire qu'on n'irait pas, pour qu'il se calme un peu. Je ne savais pas quoi faire, j'avais peur parce que sa plaie avait l'air profonde et qu'il avait peut-être une commotion cérébrale ou plus grave encore. Parmi tous ses mots dans tous les sens, j'ai compris qu'il était tombé de son vélo.

Je lui ai dit que ça allait aller, que j'étais là. Je cherchais une solution dans ma tête, j'essayais de ne pas paniquer, pour ne pas aggraver sa panique à lui. D'un seul coup, sans prévenir, il m'a pris dans ses bras, il me serrait tellement fort que je pouvais ressentir toute sa détresse. Il se raccrochait à moi en pleurant et en me répétant qu'il était désolé. J'ai mis plusieurs secondes à réagir et l'entourer de mes bras. Pour pouvoir l'emmener à l'hôpital, il fallait que je réussisse à le calmer d'abord. Plus je caressais son dos en lui répétant encore et encore que j'étais là, que tout allait bien, de respirer, plus il s'accrochait à moi, fort.

J'ai eu tellement peur Railey. Il tremblait tellement que je ne sais pas comment il réussissait à tenir debout. Son sang n'arrêtait pas de couler, j'en avais partout sur moi. Ses mains tiraient sur mon pull dans mon dos, il était vraiment agrippé à moi et il pleurait si fort que ça me broyait le coeur. Je n'arrêtais pas de lui répéter que tout allait bien, que j'étais là, mais ce n'était pas vrai. Rien n'allait bien et je le savais. Je me suis reconnu dans sa douleur et dans sa détresse. J'avais l'impression qu'il était moi, ce soir-là dans notre salle de bain, quand toutes mes émotions sont revenues d'un seul coup et qu'elles m'ont enseveli.

On était sur le bord de la route, dans un tournant, en pleine nuit, si une voiture arrivait, à tout moment elle pouvait nous renverser avant même de nous voir. Je ne sais pas exactement comment, mais sans me détacher de lui, j'ai réussi à nous asseoir dans l'herbe, un peu en retrait.

C'était horrible de voir Louis dans cet état. Je priais pour qu'il se calme, pour qu'il retrouve ses esprits et qu'il me laisse l'emmener à l'hôpital. C'est arrivé. Petit à petit il s'est calmé. Il me serrait toujours, je caressais toujours son dos et sa plaie saignait toujours autant, mais il pleurait moins et il arrivait un peu mieux à respirer. J'ai pu un peu mieux comprendre ses marmonnements.

C'était bien ça, il est tombé de vélo et il s'est cogné la tête. Il est tombé parce qu'une voiture est arrivée et qu'il a eu peur, parce que leur accident a eu lieu il y a un an, jour pour jour. Il ne m'a pas dit ça comme ça, mais c'est ce que j'ai rassemblé.

Louis était dans cet état, parce qu'aujourd'hui c'est le premier anniversaire de leur accident avec Evan. Hier de l'année dernière, Evan était encore là. Aujourd'hui de cette année est horrible.

Je lui ai dit qu'il saignait beaucoup. J'ai eu l'impression qu'il avait un peu retrouvé ses esprits, car il a accepté que j'appelle les pompiers. Je ne voulais pas le porter sur mon vélo, parce que j'avais peur. On nous a assez appris et répété au basket, que gros coup sur la tête = on bouge la personne le moins possible. Encore plus quand ça saigne.

Pendant qu'on attendait, on est resté assis. Je l'ai gardé contre moi, il revenait petit à petit de plus en plus à lui. Ses larmes se sont calmées aussi, il ne pleurait plus, mais il est resté blotti contre moi jusqu'à ce que les secours arrivent. J'ai pu monter avec lui, il a vomi dans le camion.

Une fois à l'hôpital, je me suis retrouvé tout seul. Louis a disparu avec les pompiers derrière des portes où je n'avais pas le droit d'aller. J'étais paniqué, inquiet, perdu. J'ai appelé papa, il était 3h du matin, je ne savais pas quoi faire d'autre. Ils sont venus tous les deux, avec maman, pendant que Brooke gardait Jade.

L'hôpital a prévenu la mère de Louis. Quand elle est arrivée, j'ai su c'était elle, parce qu'elle était avec Lily et Maya, Louis m'avait déjà montré une photo de ses petites soeurs. Je crois que même sans les jumelles je l'aurais reconnu sans jamais l'avoir vu, car elle a les même yeux que Louis. Je n'ai pas osé m'approcher. De toute façon, elle a rapidement était conduite derrière les mêmes portes que Louis.

On a demandé des nouvelles à l'accueil. J'avais peur qu'on refuse de nous en donner, parce qu'on n'est pas de la famille, mais ça je crois que ce n'est que dans les films ou les séries non ? La dame était très gentille, elle m'avait vu arriver avec les pompiers. Louis a une légère commotion et il a eu besoin de points de suture pour son front, mais elle m'a promis qu'il allait bien. Elle m'a dit que je pourrais venir le voir dès l'ouverture des visites, à 9h du matin.

Je ne voulais pas rentrer à la maison, je voulais attendre, mais papa et maman avaient raison, ça ne servait rien. Ils ont promis de me ramener à l'hôpital dès que j'aurais dormi un peu. Sur le chemin du retour, on s'est arrêté pour récupérer nos vélos. Papa les a mis dans le coffre de la voiture. Celui de Louis est vraiment abîmé, le cadre est presque plié en deux.

Il est 4h57. Je me suis douché en rentrant parce que j'avais du sang partout. Sur mon visage, sur mes vêtements et même dans mes cheveux. Le sang de Louis.

Dans la voiture, j'ai tout raconté à papa et maman. Maman était assise avec moi sur la banquette arrière, je ne me sentais vraiment pas bien. Je réalise maintenant seulement, que j'étais vraiment chamboulé. Je revois maman me prendre doucement les mains, parce qu'elles tremblaient tellement que je n'arrivais pas à les contrôler.

Papa m'a dit que si jamais il se passait de nouveau quelque chose comme ça, je devais le réveiller, les réveiller tous les deux. Ce n'était pas un reproche, au contraire. Cette nuit, j'ai vu à quel point ils étaient là pour moi. Je le savais déjà, mais là, je m'en suis vraiment rendu compte.

Je vais dormir Railey. Je suis complètement épuisé, je me sens totalement vidé. Je ne sais pas comment réagir à tout ce qu'il s'est passé, ce n'est pas important ce que je ressens. Plus vite je dors, plus vite je pourrai aller voir Louis à l'hôpital. Je sais qu'il n'est pas tout seul, mais je veux être avec lui.

— Harry

Sans ToiDove le storie prendono vita. Scoprilo ora