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Lundi 8 juillet 2019

On est lundi aujourd'hui. Ce matin j'avais mon rendez-vous avec le Docteur Drews. Je n'ai pas pris de poids, je n'ai pas perdu de poids. Il m'a demandé plusieurs fois, si je mangeais bien les barres qu'il m'a donné. Il a rajouté des boissons en plus maintenant. Elles sont au chocolat. Je ne sais pas si je les aime ou pas, le goût n'est pas mauvais, mais il n'est pas bon non plus. Je dois juste les boire et c'est tout, c'est comme ça.

J'ai l'impression que tous les efforts que je fais ne servent à rien. J'ai quand même presque bu tout mon milkshake hier et pourtant mon poids n'a pas changé.

Tu sais, je m'en fiche d'être trop maigre, ce qui m'embête c'est que je n'ai plus de muscles. Si l'entraineur me voyait, je suis certain qu'il ne me laisserait pas jouer. Les matchs me manquent, mais je crois que je vais arrêter le basket. Je ne sais pas si je suis capable de jouer sans toi. On était fort parce qu'on était deux, parce qu'on était ensemble et qu'on n'avait pas besoin de mots, il suffisait qu'on se regarde pour anticiper le moindre mouvement de l'autre. C'était notre force et un atout pour l'équipe. Maintenant je ne peux plus être un atout sans toi, je ne peux pas être un atout tout seul.

De toute façon je ne comprends pas ce que le Docteur Drews attend de moi. Je sais qu'il est là pour s'assurer que je reprenne du poids et Alan lui, est là pour s'assurer que je ne décide pas de me suicider encore une fois. Je ne sais pas combien de temps je suis censé les voir encore. Tu crois que ça va durer toute ma vie ? Des années ? Comme tous les médicaments qu'ils me forcent à prendre. Ils veulent que je retrouve une vie normale, mais à cause d'eux je ne me sens pas normal du tout.

Je n'ai plus l'impression d'être moi Railey. Je sais que je ne redeviendrai jamais le moi d'avant, c'est impossible, pas sans toi, mais par moment j'ai l'impression d'être devenu quelqu'un d'autre. Un étranger, un moi que je ne connais pas. Le moi d'avant se serait battu, il n'aurait jamais accepté tout ça. Le moi de maintenant ne fait rien, il accepte tout et fait tout ce qu'on lui dit de faire. Il mange ce qu'on lui dit de manger, il va là où on lui dit d'aller, il prend les médicaments qu'on lui dit de prendre, il boit des boissons qu'il n'est même pas sûr d'aimer.

Ce n'est pas moi ça, ce n'était pas toi non plus, ce n'est pas nous.

On n'a jamais été trop rebelle, mais on ne se laissait pas faire non plus. On savait ce qu'on voulait et ce qu'on ne voulait pas. On savait s'imposer. Toi plus que moi, car tu avais le plus fort caractère de nous deux, mais quand même, moi aussi je savais dire oui ou dire non. Ou alors peut-être que j'étais fort uniquement grâce à toi, que sans toi je suis incapable de ne pas me laisser faire.

J'aimerais tellement savoir quel toi tu serais devenu si c'est moi qui étais parti. Est-ce que tu serais resté nous-même, ou est-ce que comme moi, tu accepterais tout ce que j'accepte.

J'ai vraiment besoin de ton aide Railey, je sais que tu n'es plus là, mais j'ai besoin de toi pour savoir comment faire pour vivre sans toi. Je sais que ça n'a pas de sens.

Peut-être que je devrais dire à tout le monde que je ne veux plus prendre tous ces médicaments ? Je ne sais même pas s'ils m'aident, ce qu'ils me font ou quels effets ils ont. Tu crois que si je les arrête je vais redevenir comme avant ? Quand je ne ressentais rien du tout, que c'était le vide en moi ? Tu crois que sans eux j'arrêterais à nouveau de parler ?

Je n'ai plus envie de parler de ça. De toute façon mon avis ne compte pas, personne ne me demande si je suis d'accord. J'ai l'impression que ce que je ressens n'a pas d'importance, tant que je mange et que je ne fais rien de stupide qui pourrait me ramener à l'hôpital.

Je crois que toi tu ne supporterais pas tout ça. Tu aurais peut-être même tout envoyé chier et tu aurais fugué. Tu serais parti avec Sarah et tu aurais menacé tout le monde de ne jamais revenir tant qu'on te forcerait à faire tout ça.

Moi je n'ai pas le courage du fuguer, alors je vais juste aller dormir. Peut-être dans ton lit, je n'ai pas le droit, mais j'en ai marre qu'on m'interdise des choses.

Bonne nuit Railey.

Sans ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant