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Samedi 17 aout 2019

Aujourd'hui, Louis était redevenu exactement comme avant, comme s'il ne s'était rien passé. Si je n'avais pas été présent cette nuit-là, en dehors du gros pansement qu'il a toujours sur son front, je n'aurais jamais pu deviner ce qu'il vient de traverser. Et qu'il doit traverser encore, car ce n'est pas parce qu'on n'est plus le 13 ou le 15 août, que c'est derrière lui.

Il n'en a pas parlé pendant la réunion. Il était souriant et jovial, concentré comme toujours sur les histoires des autres et prêt à soutenir qui en avait besoin à tout moment. Il n'est pas arrivé en retard comme d'habitude, donc j'en déduis qu'il n'a pas été travailler aujourd'hui.

Ça m'a perturbé de le voir comme ça, comme s'il allait bien, alors que moi, je sais que ce n'est pas vrai. Au début, je me suis dit qu'il avait simplement remis son masque, mais finalement je crois qu'il n'a pas réellement de masque. Je pense plutôt qu'il y a deux Louis. Le premier Louis, celui d'aujourd'hui, souriant, qui va toujours vers les autres, qui donne l'impression d'aller bien. Et le deuxième Louis, celui qui est malheureux, celui qui souffre tellement qu'il peut se retrouver perdu au bord d'une route en pleine nuit.

Je crois que Louis a laissé trop de place au premier Louis et que le deuxième Louis, il le bloque à l'intérieur de lui. Le deuxième Louis doit étouffer de toujours être enfermé comme ça. Est-ce que tu crois que moi aussi, j'ai deux Harry ? Je ne pense pas.

Après la réunion, j'aurais aimé passer du temps avec lui, tout seul, pour savoir comment il allait réellement, mais quand on est sorti, sa mère l'attendait sur le parking. C'est la première fois que je la voyais là. Il m'a dit qu'elle avait pris quelques jours de congés, c'est normal avec tout ce qu'ils traversent en ce moment.

Louis a proposé de me raccompagner. Comme j'espérais qu'on resterait ensemble après la réunion, j'avais dit à maman de ne pas venir me chercher.

Je me suis assis à l'arrière avec les jumelles. Elles n'ont pas arrêté de parler pendant tout le trajet. Tout le temps, vraiment, et vite. Personne n'avait le temps de leur répondre, qu'elles étaient déjà passées au sujet suivant. Elles m'ont rappelé nous. Elles donnaient l'impression de s'adresser à tout le monde, mais en réalité elles étaient dans une bulle, bien à elles. Elles n'avaient besoin de personne d'autre dans leur conversation. Elles prononçaient même des mots que je ne comprenais pas, tout simplement parce qu'ils n'existent pas. On faisait exactement la même chose tous les deux, nous aussi on avait inventé des mots qu'on était les seuls à comprendre. Quand on se parlait, ça pouvait durer des heures entières. En regardant les jumelles faire comme nous, ça m'a fait mal au coeur parce que tu me manques et que nos discussions me manquent aussi.

Par contre, c'était chiant. Pardon, c'est pas super sympa de dire ça, mais je sais que tu aurais pensé la même chose que moi. Si on ressemblait vraiment à ça pour les personnes autour, je devrais tout de suite aller m'excuser auprès tout le monde, de notre part à tous les deux. C'est vraiment pénible. Surtout auprès de Brooke. Dans la voiture, on était avec les jumelles et elles étaient avec nous, pourtant c'était comme si on était exclu de leur monde. Avant de voir Lily et Maya ensemble tout à l'heure, je ne m'étais jamais demandé, ce que ça pouvait faire, d'être le frère ou la soeur de jumeaux ou de jumelles. Je réalise que ça ne doit pas être facile tous les jours. Brooke mérite un câlin. Jade ne connaîtra jamais ça.

Quand on est arrivé à la maison, maman était dans le jardin de devant, en train de s'occuper des fleurs. Elle a invité Marianne à boire un thé pour la remercier de m'avoir ramener. Louis et moi on n'a pas trop su comment réagir. On s'est retrouvé tous les deux dans ma chambre, pendant que toutes les filles prenaient un goûter dans notre jardin.

Sans ToiWhere stories live. Discover now