Page cent-quarante-quatre

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Samedi 31 août 2019

Après la réunion, j'ai emmené Louis jusqu'à mon nouveau lycée. On a fait le tour du parc, des différentes cours, bâtiments et du terrain de sport. Je crois que j'avais besoin de le revoir, sans maman, sans papa, sans Brooke, sans la proviseur. On n'a pas pu entrer à l'intérieur, car tout était fermé. Quand on est venu en moto avec papa, on s'était juste arrêté sur le parking quelques minutes avant de repartir. J'avais besoin de revenir pour de vrai, au moins une fois avant la rentrée, même si je ne sais pas trop pourquoi.

Ensuite on est allé voir l'université de Louis. Elle est à une vingtaine de minutes mon nouveau lycée et à peu près 1h de chez lui. Pour faire la route tous les jours, il aura vraiment besoin de sa voiture.

Si je trouvais ma nouvelle école grande, c'est rien comparé au campus. Il est immense. Contrairement au lycée, tout était ouvert. Il y a même des cours le samedi. On a pu visiter tout ce qu'on voulait librement. On était loin d'être les seuls, il y avait plein d'étudiants, surtout près des dortoirs. Beaucoup arrivaient avec leurs voitures pleines et leurs parents les aidaient à décharger leurs affaires.

L'endroit que j'ai préféré, c'est la bibliothèque. Elle est gigantesque, sur trois étages. Tous les meubles sont anciens, l'architecture, les murs, les vitraux. C'était magnifique et j'ai trouvé ça apaisant.

On est resté plusieurs heures sur le campus. Tout le long, je me suis imaginé poursuivre mes études là-bas l'année prochaine. Maintenant que je suis rentré à la maison, je m'en veux de m'être projeté comme ça, sans toi. Mais j'ai vraiment adoré cet endroit.

Il va falloir que je me rattrape mon retard en cours. Je ne veux pas redoubler, je ne veux pas rester une année de plus au lycée. J'ai toujours eu des bonnes notes, alors même s'il me manque presque un an, je sais que je peux y arriver. J'ai déjà eu de la chance qu'ils ne me fassent pas refaire la même année, à la rentrée. Je crois que c'est grâce à l'immunité de ta mort. Si c'est vraiment le cas, cette fois je l'accepte.

J'ai envie d'aller l'université. Je ne sais pas encore ce que je veux étudier, mais je veux y aller.

J'ai du mal à réaliser que je commence, pour de vrai, à penser à ma vie future. Même si ce n'est pas un futur très lointain, juste l'année prochaine. C'est difficile pour moi, rien que d'accepter le fait que j'y pense. J'ai toujours ce sentiment de te trahir, comme si je n'avais pas le droit. Je sais que je dois apprendre à vivre sans toi, mais encore une fois, ce n'est pas parce que je le sais, que ça devient plus facile de faire les choses ou les accepter, pour autant.

Un jour, à la rentrée prochaine j'espère, je vais devenir étudiant à l'université et pas toi. Toi, tu resteras pour toujours un lycéen. Ça creuse un peu plus le fossé qu'il y a entre nous, ça agrandit la différence qui nous sépare. Ça me fait peur, parce que quoi que je fasse cette différence continuera de grandir. J'ai l'impression qu'elle a réellement commencée quand j'ai eu 17 ans et que toi tu auras toujours 16 ans, à jamais. Bientôt, je serai un étudiant et toi tu seras encore au lycée. Que je le veuille ou non, j'ai un futur et je dois le vivre.

J'ai le droit de vouloir le vivre, ou plutôt de commencer à en avoir un peu plus envie qu'avant. J'ai le droit aussi de me sentir coupable pour ça. J'ai le droit de te demander pardon, quand j'ai le sentiment de te trahir. Personne n'est autorisé à contrôler ce que je ressens. C'est douloureux de se sentir coupable, mais je m'en voudrais encore plus, si je ne ressentais pas ça. J'aurais l'impression de te trahir encore plus, si je ne pensais pas à toi à chaque nouvelle étape de ma vie.

Si tu étais encore là, je crois que tu me dirais que ce campus est fait pour moi. C'est ce que j'ai ressenti quand j'étais là-bas, que cet endroit pouvait être pour moi. Pas parce que Louis va y étudier, mais parce que quand on y était, je me suis senti bien. J'ai senti que je pourrais y être à ma place. C'est difficile à expliquer. Pardon.

J'aimerais bien trouver ma place. Ma vraie place, pas comme dans mon nouveau lycée. Si j'y vais, c'est seulement parce que j'espère avoir moins mal, que dans l'ancien.

J'ai besoin de trouver une place à moi, sans qu'elle ne dépende de toi, de Louis, ni de personne d'autre.

Je m'en veux de penser à tout ça. J'ai le mot trahison qui résonne dans ma tête beaucoup trop fort. Je vais arrêter de t'écrire pour ce soir.

Pardon d'essayer d'avancer sans toi.

— Harry

Sans ToiWhere stories live. Discover now