Page cent vingt et une

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Samedi 13 juillet 2019

J'ai un tatouage Railey !!!

Un vrai tatouage, pour de vrai.

On est samedi et le samedi c'est toujours le jour de la réunion du cercle d'entraide. Il n'y a pas de nouveaux depuis un moment et pas de morts non plus. Mais pour la première fois, il y a une fille qui s'en va. Aujourd'hui c'était sa dernière participation, elle a dit qu'elle se sentait prête à avancer sans nous maintenant. Elle a tenu à tous nous dire au-revoir, nous remercier, mais surtout remercier Jean pour tout ce qu'il avait fait pour elle.

C'était vraiment étrange de l'entendre dire qu'elle se sentait prête à avancer sans nous, comme si elle était guérie de la mort de sa soeur. Je n'arrive pas à comprendre comment elle peut se sentir prête à avancer, que ce soit sans nous, ou tout court, comme si on pouvait vraiment guérir.

J'ai aussi trouvé ça étrange de la voir partir. Avant je ne voulais pas assister à ces réunions, je le faisais uniquement pour maman. Maintenant c'est devenu une habitude et je n'avais pas envisagé que ça pouvait s'arrêter un jour, qu'on pouvait choisir de partir, de ne plus venir ou de ne plus en avoir besoin. Je ne sais toujours pas si ces réunions m'aident vraiment, je ne compte toujours pas non plus raconter mon histoire, mais elles m'ont permis de rencontrer Louis, alors même si elles ne m'aident pas, ce n'est pas trop grave. Je ne vais pas te dire que j'aime y aller maintenant, car ce serait un mensonge, mais je crois que si elles s'arrêtaient ou que je n'y allais plus, ça me manquerait. Je ne saurais plus quoi faire de mes samedis.

— Lundi Docteur Drews
— Mercredi Alan
— Samedi réunion

Même si je n'aime pas forcément ça, je m'y suis habitué.

Je ne sais pas réellement quand, ni comment ça s'est fait, mais tous les samedis, on passe du temps ensemble avec Louis. Même si ça ne fait pas longtemps, ça aussi c'est devenu une habitude.

Après la réunion, on s'est regroupé un peu avec les autres sur le parking pour discuter avec Leah. Je suis resté en retrait, je la regardais dire au-revoir à tous le monde, promettre de donner des nouvelles. Je me disais que je ne la reverrais plus jamais, mais pour une fois ce n'est pas parce qu'elle serait morte. Ça avait quelque chose de rassurant de me dire qu'une personne peut disparaitre, partir, sans forcément mourir.

Au bout d'une dizaine de minutes le groupe s'est dispersé. Louis avait rendez-vous pour se faire tatouer, il m'a proposé de l'accompagner. Sur le chemin il m'a avoué qu'il ne savait pas du tout ce qu'il comptait faire. En réalité il a pris ce rendez-vous sur un coup de tête après son anniversaire et celui d'Evan. Il m'a dit qu'il avait fait ça, parce que c'est le genre de chose qu'Evan aurait fait. Ça m'a fait penser à toi, toi aussi tu aurais été capable de prendre rendez-vous pour un tatouage sur un coup de tête.

On avait un peu plus d'une heure devant nous, alors on s'est installé dans un café pas loin du tatoueur et on a réfléchi ensemble à ce qu'il pourrait faire, un dessin ou une phrase. Inconsciemment j'ai caressé la cicatrice à mon poignet sous la table. Je ne la regarde presque jamais, mais je la touche souvent. Je la déteste toujours autant. Un jour, je la recouvrirai d'un tatouage, je sais que je la sentirai toujours, mais au moins je ne la verrai plus, plus personne ne la verra.

Louis ne boit pas de café. Ce n'est pas important, mais lui aussi a commandé un chocolat chaud, comme moi.

Il voulait un tatouage en rapport avec son frère, et il m'a demandé ce que je ferais si j'étais à sa place. C'était difficile comme question, parce que je ne connais pas Evan et que je ne suis pas Louis.

J'ai pensé à nous, à toi et moi. Il y a plein de choses qui me sont venues en tête et qui ont un lien avec toi. Ton prénom, juste l'initiale, le numéro de ton maillot de basket, un ballon, une moto. Mais j'ai réalisé que je n'avais pas envie de ça. À la place de Louis, je n'aurais pas envie que les gens comprennent mon tatouage. Si c'était moi, j'aimerais quelque chose qui n'appartienne qu'à moi, qu'à nous deux et à personne d'autre.

16 et 18. Les tatouages. Ce qu'on s'est fait tatouer, c'est 16 et 18. Sur le devant de la hanche, là où personne ne peut le voir.

Je ne sais pas pourquoi j'ai pensé à ça, mais c'est l'âge auquel vous êtes morts, Evan et toi. L'âge que vous aurez pour le restant de notre vie à Louis et à moi. C'est le moment à partir duquel on a cessé d'être totalement des jumeaux. Quand je l'ai proposé à Louis, il a réfléchi plusieurs minutes avant de me dire que c'était une bonne idée. Lui aussi, il a l'impression que sa nouvelle vie a commencée quand il n'a plus eu le même âge qu'Evan. Une nouvelle vie qu'il ne voulait pas lui non plus, mais qu'il doit vivre quand même.

Je crois que c'est quelque chose de symbolique et qui compte pour moi et je suis content que ça compte pour Louis aussi.

Je n'avais pas prévu de me faire tatouer, je suis resté assis sur un tabouret pendant que le tatoueur s'occupait de Louis. Il n'avait pas l'air d'avoir trop mal. Quand il a terminé et que j'ai vu le 18 sur sa peau, j'ai soulevé mon t-shirt et j'ai regardé ma hanche. Ce n'était pas seulement une envie, c'était carrément un besoin Railey. J'avais besoin de t'avoir sur ma peau, comme Louis avait Evan sur la sienne.

Au début le tatoueur m'a regardé bizarrement, il m'a demandé si j'étais majeur, j'ai dis oui, il m'a jugé du regard avant de finir par hausser les épaules.

Je t'ai sur ma peau. Pour toujours. Louis aussi a son frère sur sa peau pour toujours.

Si papa et maman le savaient, ils me tueraient sûrement. 

Je vais aller dormir, je suis dans mon lit, parce que j'ai compris que dormir dans le tien ne servait à rien. Je suis fatigué.

Bonne nuit Railey.

(J'aime mes samedis, je n'ai pas envie qu'ils changent un jour.)

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