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Jeudi 24 janvier 2019

Cent-seize jours.

Je suis retourné au terrain de basket près du lac ce soir. J'avais pris un ballon avec moi. C'était la première fois que j'en tenais un dans mes mains depuis que tu es mort. Je n'ai pas joué, c'est promis.

C'est de la faute d'Alan. Il a toujours le mini panier posé sur son bureau, je l'ai regardé pendant presque toute l'heure, hier. Quand il s'en est rendu compte, il m'a tendu la balle en mousse. J'ai secoué la tête. Je ne veux pas jouer sans toi, même avec un faux ballon ridicule. Je n'ai pas le droit. Le basket c'était notre passion à tous les deux, pas seulement la mienne. Ce n'est pas de ta faute si tu ne peux plus jouer maintenant.

Parfois j'ai l'impression de te trahir en étant encore vivant. Tu ne voulais pas mourir, tu ne l'as pas choisi, c'est ce camion qui t'a tué. Ce qui t'est arrivé est injuste, tu ne méritais pas ça.

Tu sais, des fois il m'arrive de penser au chauffeur du camion. Il n'avait pas bu, il n'était pas en excès de vitesse, ce tournant a toujours été dangereux parce qu'il n'y a pas beaucoup de visibilité. On ne sait pas exactement ce qu'il s'est passé, mais d'après l'enquête il n'était pas responsable et ce n'était pas le premier accident à cet endroit-là.

C'est dur de ne pas avoir de coupable contre qui être en colère, contre qui ressentir de la haine. Pouvoir la canaliser sur une personne, au lieu de la sentir partout en moi sans savoir quoi en faire. Alors je pense à lui. Je me dis qu'il doit vivre avec le fait de t'avoir tué sans le vouloir et qu'il doit souffrir lui aussi. Je sais que ce n'est pas bien, mais quelque part, ça me réconforte un peu, car même si ce n'était pas de sa faute, sans lui, tu serais sûrement encore en vie.

Depuis ton accident, ils ont baissé la limitation de vitesse dans le tournant. Peut-être que ça sauvera d'autres vies. Moi, j'aurais voulu que ça sauve la tienne.

Hier j'ai crié. C'était la première fois qu'un son sortait de ma bouche, ça m'a fait mal à la gorge. On était dans le salon, papa regardait les informations, maman lisait un livre. Jade jouait sur le tapis, sans qu'on ne s'en aperçoive elle a rampé jusqu'au buffet, elle s'est mise debout et elle a réussi à attraper une paire de ciseaux. J'étais de l'autre côté de la pièce, quand je l'ai vu j'ai crié, je ne l'ai pas contrôlé. Elle a eu tellement peur qu'elle s'est figée. Papa et maman se sont tournés vers moi, je crois qu'ils ont eu peur eux aussi. Il y a eu un gros silence, puis quand Jade s'est mise à pleurer, ils ont compris. Maman lui a retiré les ciseaux et la prise dans ses bras. Ils me regardaient, j'ai vu dans leurs yeux qu'ils ne savaient pas comment réagir. Moi non plus, je ne savais pas.

Le soir j'ai essayé de parler. Dans notre salle de bain, devant le miroir, j'ai essayé de prononcer mon prénom. Peut-être que j'avais toujours une voix. Je n'ai pas réussi. Ce n'est pas grave, ça n'a pas d'importance.

— Harry

Sans ToiWhere stories live. Discover now