Page cent quarante et une

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Dimanche 25 aout 2019

Ça y est, j'ai enfin reconduit ma moto !

La dernière fois c'était au mois de janvier, quand j'avais trouvé les clefs et que je l'avais prise en cachette. Évidemment, le premier endroit où l'on a été avec papa, c'était au garage de Monsieur Hendrix. Il a dit qu'après autant de temps sans rouler, que ce soit la sienne ou la mienne, elles avaient besoin d'être contrôlées. Papa est tout à fait capable de lui faire lui-même, mais je crois qu'il a pris ce rendez-vous pour rassurer maman. Elle nous a même suivi en voiture jusqu'au garage. Je crois qu'elle espérait au fond d'elle, que Monsieur Hendrix lui dise que nos motos ne valaient plus rien, qu'on ne pouvait pas rouler avec et que la seule chose qu'il restait à faire, c'était de les mettre à la casse.

Malheureusement pour maman, nos motos sont en parfait état. Je m'en veux un peu de lui créer toute cette angoisse, mais j'aime ma moto, j'aime la conduire et papa aussi aime ça. Tu aurais dû le voir aujourd'hui, son regard, son visage, à lui aussi ça lui manquait. On a suivi maman sur le chemin du retour, pour lui montrer qu'on serait prudent, pour qu'elle se rende compte de ses propres yeux qu'on allait faire attention. Je crois que ça ne l'a pas rassurée pour autant.

J'ai conscience que maman aimerait avoir le pouvoir de me protéger de tout, mais c'est impossible. Je sais que je peux mourir sur ma moto, parce que même si moi je suis prudent, je ne suis pas responsable des autres conducteurs qui ne le sont pas. Mais je peux aussi mourir dans mon sommeil, en traversant la route ou en faisant tout simplement une mauvaise chute, comme le père de Louis. Maman ne pourra jamais me préserver de tout ça et moi j'essaie de réapprendre à vivre, pas juste de seulement être là. Ma moto compte dans le fait d'essayer de retrouver ma vie, pas celle d'avant bien sûr, mais une vie un peu moins dure à supporter que celle que j'ai depuis que tu es parti.

On a roulé presque trois heures avec papa. On est allé un peu partout, sans endroit ni but précis, juste le plaisir de conduire. On a fait le trajet jusqu'à mon nouveau lycée aussi, pour que je repère le chemin.

On n'est pas passé par la route où tu as eu ton accident. Je ne sais pas si c'était conscient ou inconscient de notre part, car je le réalise seulement maintenant en te l'écrivant. On a été pratiquement partout, tout autour, sauf là-bas.

Tu m'as manqué toute la journée. Je t'imaginais sur la route avec nous, comme avant. Dans ma tête tu étais là, mais quand je regardais autour de moi, il n'y avait que papa. Pas de troisième moto. Je suis fatigué de tout le temps ressentir ce manque, même dans les moments qui sont censés me rendre heureux. Tu n'es pas là et quoi que je fasse de bien ou même de mal, il y aura toujours cette ombre, partout avec moi.

J'ai retrouvé ma moto. Les clefs ne sont plus cachées, elles ont retrouvé leur place sur le crochet de l'entrée, j'ai le droit de les prendre quand je veux. J'ai conscience de l'effort que ça demande à maman. On me dit tout le temps que j'avance, que je fais des grands pas, mais aujourd'hui, c'est papa et surtout maman qui en ont fait un.

J'espère que tu es fier d'eux, moi oui.

Quand je prendrai ma moto, je t'imaginerai toujours rouler à côté de moi, c'est promis.

Fais de beaux rêves.

— Harry

Sans ToiWhere stories live. Discover now