Page quarante et une

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Jeudi 10 janvier 2019

Cent-deux jours.

Hier j'avais rendez-vous avec le psychologue. Je n'ai pas envie d'en parler.

Je suis fatigué. Je n'ai pas dormi depuis presque deux jours. J'ai peur de faire des cauchemars. Je ne ressens toujours rien, je pense tout le temps à ta mort, pourtant en moi c'est toujours le vide. J'ai peur que tout vienne me hanter dans mes rêves si je ferme les yeux.

Je ne sais toujours pas si je suis triste ou si je ne le suis pas. Je ne sais pas ce que je ressens, je ne suis même pas certain de ressentir quelque chose. J'ai l'impression que je suis mort de l'intérieur Railey. Pas au sens figuré, mais vraiment. Tu étais mon frère jumeau, je devrais être malheureux, abattu ou pleurer comme les autres. Mais à la place je compte les jours, et plus ils passent, plus le vide en moi s'agrandit. Comme un néant qui ne se termine jamais.

Je sais que tu me manques, qu'il me manque une part de moi depuis que tu es parti, mais il y a quelque chose de déchiré en moi, constamment. C'est peut-être pour ça que ce n'est pas douloureux, parce que ce déchirement est là tout le temps. Peut-être que je me suis habitué à lui, qu'il fait partie de moi maintenant.

Je ne parle toujours pas, je crois que je ne parlerai plus jamais de ma vie. Je me suis éloigné de tout le monde. Il n'y a pas que face à ta mort que je ne ressens rien. C'est face à tout le monde. Maman, papa, Brooke et même Jade.

Hier maman m'a demandé de la surveiller pendant qu'elle prenait sa douche. Elle s'est cognée à la table basse du salon et s'est mise à pleurer. Je n'ai pas réagi. J'étais assis sur le canapé, je n'ai pas bougé jusqu'à ce que maman arrive en courant. Je crois que je n'avais même pas réalisé qu'elle s'était fait mal.

J'ai l'impression d'être complètement éteint par moment. Comme si je n'étais pas là, alors que je suis là. Parfois j'oublie même ce qu'on vient de me dire, alors que j'ai entendu.

J'ai trouvé un forum sur internet où les gens parlent de la mort, de la dépression, du suicide, et plein d'autres trucs comme ça. Ils racontent tout ce qu'il se passe dans leurs têtes et là-bas personne ne les jugent. Certaines personnes ressentent la même chose que moi. Elles n'ont plus envie de vivre, mais elles ne veulent pas se suicider, juste ne plus exister. C'est rassurant de savoir que je ne suis pas seul.

Je crois que si maman voyait ce site, elle paniquerait. Je ne pourrais jamais lui expliquer que je ne veux pas mourir, mais que je ne veux plus vivre non plus. Elle ne comprendrait pas. Elle ne comprendrait pas non plus que là-bas je me sens bien, parce que personne ne cherche à me réconforter, et que je ne réconforte personne. J'en ai assez d'entendre tout le monde me dire que ça va aller, alors que tout va mal. J'en ai marre de tous ces mensonges.

Même si les gens ne sont que des pseudos sur internet, par moment j'aimerais souffrir comme eux. Je suis fatigué de me sentir vide. Je voudrais avoir mal, être malheureux, juste ressentir quelque chose, n'importe quoi.

J'ai changé le mot de passe de ton ordinateur, j'espère que tu ne m'en veux pas. Maman le connaissait. Je n'utilise plus le mien. En réalité je n'utilise plus aucune de mes affaires, seulement les tiennes. Je passe mon temps dans ta chambre, je dors dans ton lit, je porte tes vêtements, je ne mange que ce que tu aimais, j'écoute ta musique.

Je crois que j'essaie d'être nous deux en même temps.

— Harry Railey

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