Wraith se réveilla une heure plus tard, les caresses faites dans ses cheveux procurant d'agréables frissons dans la totalité de son corps. Sans même avoir besoin d'ouvrir les yeux, il savait qu'Indigo était allongée sur lui, qu'elle passait délicatement les doigts dans les mèches étalées autour de lui, et qu'elle appréhendait le moment où il s'éveillerait complètement. Mais il était plus qu'impatient de lui révéler ce que cette expérience lui avait apporté. Dès qu'il ouvrit les yeux, son regard plongeait déjà dans celui de la jeune femme.
— J'avais raison, dit-elle doucement en ne parvenant pas à réprimer son sourire.
Wraith resserra son étreinte autour d'Indigo. Ils avaient dû échanger leur place durant sa sieste, car il se retrouvait maintenant allongé sur le dos, et non plus à écraser sa merveilleuse alter ego. Et elle avait remis son pull, c'était un détail, mais Wraith en fut un peu agacé.
— Tu avais raison, convint-il.
Sentant son démon s'étirer intérieurement, émergeant lui-aussi d'un repos bénéfique, il se détendit en caressant la chevelure aux reflets bleutés déployée sur son torse. Wraith se sentait bien comme ça, enveloppée dans l'odeur délicieuse de son alter ego. Il bandait, aussi. Mais c'était toujours comme ça, lorsqu'il était dans le sillage d'Indigo. Il ne devrait plus s'étonner de rien, vu son grand âge... et pourtant, de jour en jour, il s'émerveillait de cette femelle et de ce qu'elle faisait naître en lui.
— C'est la première fois que je fais ça, ajouta-t-il.
— De quoi ? Que tu t'endormes sur quelqu'un comme un balourd ?
Dans son esprit, le démon se remémorait le moment qu'il avait passé seul à seule avec son alter ego, pour la première fois. C'était aussi la première fois qu'il était complètement libre d'ailleurs. Wraith remarqua qu'il se tordait les mains car il voulait encore toucher son la jeune femme. Quand Indigo rit de sa propre blague, le démon releva la tête si vite que même Wraith entendit ses cervicales protester. Il ferma les yeux puis sembla ensuite se bercer sur une musique que lui seul pouvait entendre.
— Non, mea. C'est la première fois que je laisse délibérément le contrôle à mon démon. À chaque fois qu'il émergeait, il forçait le passage. Le contrôle de mon corps, il le prenait de force et je n'avais aucun mot à dire là-dessus. En un millième de seconde, je me retrouvais aveugle, sourd, muet, mains et pieds liés. J'avais l'impression d'être éjecté de mon propre corps, putain. Quand ça se passait comme ça, je prenais conscience de ce qu'il avait fait quand je revenais à la surface. Je n'avais aucune idée de ce qu'il faisait, je ne pouvais que constater les dégâts à mon réveil. Alors que cette fois...
Wraith entendit le ton presque émerveillé qui sortait de sa propre bouche.
— C'était différent, termina Indigo.
— Oui. Je me souviens de tout. Mais pas seulement... c'était... j'avais l'impression de vivre quand même un peu de ce qu'il ressentait, au même moment où lui ressentait ce que tu lui procurais. Attends, ça ne doit pas être très clair pour toi. (Il fronça les sourcils.) C'était comme... si c'était en direct, tu vois ? C'était lui qui te sentais... et pourtant je percevais ton odeur aussi. Je voyais ce qu'il regardait. J'avais l'impression de bander alors que c'était lui qui était excité par toi. C'était complètement différent. Pour la première fois, je ne me suis pas battu avec moi-même. On était en... osmose.
Les lèvres de la jeune femme s'étirèrent.
— C'est merveilleux, Wraith. J'étais certaine que ça allait fonctionner.
Un petit sourire naquit sur le visage de Wraith.
— J'ai eu le temps d'y réfléchir, tu sais. Et je pense qu'au fond de moi, je savais aussi que tout allait bien se passer.
Indigo releva le buste pour donne une petite tape sur le pectoral nu du démon en ricanant.
— Je me disais aussi que tu avais cédé un peu vite !
Wraith redevint sérieux.
— C'est exactement ça. Je ne t'aurais pas envoyé à la mort. Jamais. Pourtant, j'ai accepté de te laisser avec mon démon, alors même que je savais qu'il était violent. (Il secoua la tête.) Quelque part, je savais que tout irait bien.
— Mais tu n'avais pas prévu que tu en tirerais une leçon.
Wraith s'étonna :
— Quelle leçon ?
— Que, dorénavant, tu laisseras ton démon prendre le contrôle absolu de temps en temps, pardi ! J'ai passé un bon moment avec lui, tu sais. (Elle posa la paume sur son propre front.) Je suis stupide, évidemment que tu sais, tu étais là aussi. Enfin en quelque sorte. Je crois qu'il m'aime bien, gloussa-t-elle.
— S'il ne t'appréciait pas, tu le saurais, souligna-t-il en glissant ses mains sous le pull en laine de la jeune femme pour caresser la peau fraîche en bas de son dos. Il n'aurait pas aimé que tu le regardes dans les yeux.
— C'est ce que je dis, il m'aime bien.
— Si tu veux, sourit-il.
— Comment je dois l'appeler, d'ailleurs ? demanda-t-elle soudain.
— Pardon ?
— Ben oui. Il n'a pas de nom ? Je n'arrive pas à l'appeler Wraith, parce que pour moi, Wraith, c'est toi. Je sais qu'il fait partie de toi, mais en même temps... il est quand même différent. D'une certaine manière, il est un peu un être à part entière quand même. Dans ma tête, je l'appelle juste il ou le démon mais c'est un peu... juste, si je veux directement m'adresser à lui. Hé, il, tu as faim ? (Elle grimaça.) Ça ne fait pas très poli.
Wraith hocha lentement la tête.
— Il a bien un nom.
— C'est quoi ?
Il pinça les lèvres.
— Tu n'arriverais pas à le prononcer.
Elle écarquilla les yeux, son visage un peu outré.
— Mais vas-y, dis que je suis handicapée de la bouche, tant que tu y es !
— Je t'assure que tu n'es pas – pas du tout, même – handicapée de la bouche. Tu t'en sers très bien. J'ai même quelques idées que tu pourrais essayer de faire avec, insinua-t-il avec un air salace.
En réponse, elle lui frappa le bras.
— Je ne suis pas handicapée, affirma-t-elle.
Puis elle prit conscience de ce qu'elle venait de dire. Parce que, eh bien si... elle était bel et bien handicapée. Même sacrément handicapée, si on prenait en compte le fait qu'elle n'avait de walkyrie que le nom. Même pas capable de voler, tiens !
— Enfin... je me comprends, ajouta-t-elle un peu amère en détournant le regard.
Comprenant jusqu'où avait cheminé ses idées, Wraith lui releva le menton.
— Arrête, Indigo. Tu es parfaite.
Elle n'en était pas convaincue, Wraith le sentait. Peu importe, il le lui montrerait plus tard, et elle apprendrait à s'accepter.
— Tu ne peux pas prononcer le nom de mon démon car il est en démoniaque. Le langage des démons est constitué de grondements, de grognements, d'aspirations, de claquements de langue et de dents, tu ne pourrais ni le comprendre, ni le parler. Certains sons ne te seraient même pas audibles ; ils sont sur des fréquences que seuls les démons peuvent percevoir.
— Oh. D'accord. Je comprends mieux... Mais tu peux quand même me le dire ? demanda-t-elle, pleine d'espoir, en avisant le sourire mystérieux de Wraith.