En entendant des voix autour d'elle, Indigo brava le brouillard épais qui polluait son esprit et ouvrit difficilement les yeux. La vision floue, elle distingua une forme sombre penchée sur elle. Levant le bras, elle se frotta les paupières. Et quand elle vit qui était penché sur elle, son cœur rata un battement, avant de repartir de plus belle.
La montagne de muscles qui s'était invité dans la salle de bain se trouvait là, en face d'elle, son regard froid et autoritaire focalisé sur sa personne. Et cet homme était entouré de géants tout aussi effrayants que lui.
Le parfait gang de tueurs sanguinaires.
La menace qu'elle avait reçue plus tôt lui revint soudain en mémoire avec la même violence qu'un train faisant connaissance avec un mur à pleine vitesse. Le prochain message sera le dernier. Nous avons hâte, tu n'as pas idée.
Alors cette annonce voulait réellement dire qu'elle allait mourir. La mort, sa famille et les walkyries la connaissait bien. Ils étaient même de très bons amis. Enfin, autant qu'on puisse l'être avec Mort. Mais Indigo était toujours restée à l'écart, n'étant jamais à l'aise avec cet être maléfique et fourbe. Il lui avait dit une fois que sa mort allait être très brutale. Brutale, lente et douloureuse. Juste cela. Ni quand, ni où, ni à quel point. Ni même de quelle manière. Vérité ou simple intimidation, Indigo n'en avait jamais été certaine. Mais avec le tableau que ces hommes lui offraient, elle était certaine d'une chose : la mort provoquée par leurs mains devait être brutale, lente et douloureuse.
Elle déglutit et observa les visages qui l'entouraient. Ils avaient l'air d'êtres des méchants. Des tueurs sans foi ni loi. Ils avaient l'air brutaux. Ils avaient l'air d'être du genre à donner une mort brutale, lente et douloureuse. Mort avait-il vu juste ? Allait-elle mourir, là, sans raison apparente, coincée entre un dossier de canapé et un homme qui aurait pu être Mort lui-même ?
Non, s'intima-t-elle. Hors de question.
Dans les films, les jouvencelles en détresse parlaient toujours pour retarder le moment fatidique. Un homme ténébreux, un amant, un ami, un parent ou encore un sauveur arrivant mystérieusement à temps pour sauver leurs belles petites fesses.
Sauf qu'on est pas dans un film. Et que je ne connais personne, songea-t-elle, un peu amère. Peut-être que quelqu'un arrivera inexplicablement pour sauver mon derrière ? D'une bombe, les grands zigotos se feraient exploser. Je sortirais miraculeusement indemne des débris, mon sauveur torse nu m'attendant à la sortie. Et on aurait plein de bébés.
Mais bien sûr. Crédibilité : 0 – Indigo... et bien 0 aussi.
Mais ce qui était certain, c'était qu'elle n'allait pas mourir sans rien faire.
Tentant de ne rien montrer de la terreur qui l'enveloppa à la vue des assassins, Indigo planta ses yeux dans ceux de l'homme qui se trouvait bien trop près d'elle. Il fallait qu'elle trouve un truc, et vite.
Alors elle attendit en silence qu'ils disent quelque chose – la moindre des choses avant de la tuer sans plus d'explications. Elle s'appuya sur un coude et releva même effrontément un sourcil, pour faire son effet. Puis les toisa un par un, alors même qu'elle était allongée sur un canapé et les autres debout dans la pièce.
L'homme le plus près d'elle était accroupi entre le sofa et une table basse en métal. Il l'observait avec une telle faim qu'elle en eut mal au ventre et dû se souvenir comment déglutir correctement. Ses cheveux semblaient être aussi longs et sombres que les siens mais... attendez. Il avait une mèche rouge ? Elle fronça les sourcils. Oui, une mèche rouge se démarquait bien dans sa crinière. Elle l'imagina alors chez le coiffeur, du papier aluminium autour de la tête, un magazine dépassé depuis plusieurs années dans les mains et les jambes croisées devant un miroir. Elle retint difficilement un sourire amusé et sentit ses lèvres frémirent.
Stop, c'est pas le moment. Il faut rester impassible. Les intimider. Soit menaçante, s'admonestera-t-elle.
Ben c'est pas gagné, railla une voix intérieure, qu'elle choisit délibérément d'ignorer.
Les cheveux de cet adonis semblaient doux et brillaient. Ils encadraient un visage coupé à la serpe, à la mâchoire carrée et aux angles durs. Un visage qui évoquait les combats à mains nues des Perses, la brutalité de la rage froide et la guerre. Oui, un visage de guerrier. Une mèche suivait le dessin de sa clavicule et plongeait à l'intérieur de son haut, qui paraissait moulé à son corps tant les muscles étaient saillants.
Prenant conscience qu'elle le mâtait ouvertement, elle retourna à son visage de guerrier. Ses sourcils épais avaient l'air de lui affiner les yeux, de lui donner un regard plus perçant. Plus froids aussi, surtout avec ses iris d'un bleu glacial. Elle remarqua que trois longues estafilades rosées se découpaient sur sa peau mate. Les cicatrices étaient un peu boursoufflées et tordues, mais parallèles dans l'ensemble. Sûrement une griffure. Une femme qu'il avait probablement tuée plus tôt et qui ne s'était pas laissée faire sans doute.
Malgré son coté terrifiant, elle devait admettre qu'il était beau. Pas la beauté des mannequins de magazines, au corps savamment bronzé, musclé et dessiné, mais d'une beauté sauvage. La beauté d'un guerrier. Sauvage, violent et destructeur.
Jetant un lent coup d'œil derrière la montagne de muscles qui bloquait en partie son champ de vision, elle nota la présence de cinq autres hommes.
Deux se tenait en V dans le dos du guerrier. Celui de droite lui souriait chaleureusement, deux canines dépassant de ses lèvres. Une alarme sonna en elle.
Vampire.
Il possédait une courte crête iroquoise et les pointes étaient teintes en vert.
C'est la mode chez les tueurs, les colorations pour cheveux ?
Celui à gauche était massif, une carrure de boxeur. Arrivait-il à passer les portes, sérieusement ? se demanda-t-elle. Il avait la peau sombre et d'étranges tatouages à l'encre blanche sortaient des manches de son T-shirt kaki. Indigo bloqua sur ses yeux : elle n'avait jamais vu de Noirs avec des yeux de ce vert, un vert émeraude chatoyant qui lui évoquait les forêts et l'odeur de pin. Par contre, son expression était impassible, presque hostile, à l'inverse de son compère, qui souriait encore plus qu'avant, semblant bien s'amuser du spectacle qu'Indigo offrait.
— Vous avez fini ? gronda l'homme à ses côtés, les yeux étincelants.
— De ? lança-t-elle innocemment.
— De les mater comme ça.
Elle resta interdite un instant.
— Pour quelle raison ? dit-elle finalement. Je vais mourir, j'ai bien le droit à un petit plaisir visuel, vous ne croyez pas ?
— Alors regardez-moi, moi, plutôt.
Indigo haussa les sourcils et eut un petit mouvement de recul.
— Et si ça ne me plaît pas ?
Ses yeux devinrent encore plus froid, elle vit ses mâchoires se serrer et ses narines frémirent, comme s'il respirait profondément pour se calmer. Il se pencha de quelques centimètres en avant, une lueur prédatrice au fond de ses prunelles.
— Je vous conseille vraiment de ne pas regarder d'autres hommes. Ils risqueraient de mourir très vite.
— Je ne suis pas Méduse, railla-t-elle. Ils ne craignent rien.
La lueur prédatrice devint assassine. Le changement était glaçant. Une sueur froide coula le long de son dos et colla sa chemise à sa peau.
— Si. Ils risquent même pour leur vie, à cet instant. Frères ou pas Frères.
Ce gars avait un problème. Indigo fronça les sourcils et tenta de trouver une hypothèse. Elle médita sur ce point un long moment, tandis que le guerrier devant elle ne cessait de la regarder et que Cheveux Verts, derrière, se dandinait sur ses pieds.
— Vous avez un complexe d'infériorité, diagnostiqua-t-elle finalement.
Elle hocha la tête, la mine sérieuse. L'homme se figea une demi-seconde et cligna des yeux. Celui à sa droite, avec les pointes vertes, arrêta net de bouger et éclata franchement de rire, se frappant la cuise de la main.
— Wraith ? Un complexe d'infériorité ? parvint-il à dire entre deux hoquets. (Sa voix était joviale, son rire communicatif. Un sourire naquit par contamination sur les lèvres d'Indigo, indépendamment de sa volonté.) Pour une fois que je ne suis pas le seul à le faire remarquer ! Bravo Wraithy (il désigna de la tête Indigo), je l'aime bien, celle-là !
Le bras du dénommé Wraith partit avant même qu'Indigo ne s'en rende vraiment compte. Son coude fusa en arrière, rencontrant dans un craquement sinistre la rotule de Cheveux Verts. Indigo ouvrit la bouche et la referma aussi sec, statufiée devant la violence du geste. Ce devait être extrêmement douloureux. Sans attendre ni la quitter des yeux, Wraith tendit la jambe et balaya celles du rigolo, qui s'effondra de tout son poids au sol, sans jamais se départir de son rire. Allongé par terre, le genou visiblement brisé, un avant-bras en travers du visage, il... continuait à s'éclaffer.
Il est complètement taré.
Cependant, Indigo ne savait pas si cette pensée était destinée à Cheveux Verts ou au guerrier.
La jeune femme remarqua alors que l'homme au fond, dans le coin de la pièce grimaçait.
Ah, enfin un tendre !