56. Y a des jours, j'te jure, j'ai l'impression d'être ton Titanic.

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Les joueurs assis autour de la table achevaient de piocher leurs cartes

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Les joueurs assis autour de la table achevaient de piocher leurs cartes. Ils prirent connaissance de leur jeu en essayant de toutes leurs forces de ne pas dévoiler dans leur expression la moindre marque de jubilation ou, le cas échéant, de déception, tout en en épiant la possible trace chez leurs voisins.

« Servi ? » questionna Caesar.

Hazel leva un doigt poli.
« Excusez-moi, une seconde. »
Elle prit sa loupe sur la table et inspecta ses cartes.
« Les rois, ils ressemblent vachement aux valets, dans ce jeu, vous trouvez pas ? »

Plusieurs spectateurs de la partie affichèrent une expression hilare, et les adversaires de la jeune fille, des sourires un peu nerveux.
Ils étaient absolument incapables de deviner si cet aveu en apparence fabuleusement maladroit était une tactique de bluff ou non.

« C'est pas compliqué, plaisanta un type, les rois, c'est ceux qu'ont une couronne.
- Les valets, ils ont des espèces de bonnets, là », renchérit un autre.
Par réflexe, il jeta un coup d'œil à son propre jeu.
« Plutôt des chapeaux, en fait. »
Immédiatement, il réalisa sa bourde, alors que tout le monde rigolait.

« Chapeau, couronne, pour moi c'est pareil, reprit Hazel, c'est du flou.
- Tu vois mal à c'point ? questionna un des joueurs, moins informé que les autres.
- Vous voyez, quand on prend une douche très chaude, expliqua-elle, et qu'ensuite le miroir est couvert de buée ? C'est comme ça que je vois.
- Wow. Je pensais pas que c'était si grave.
- Attends, prit soudain conscience quelqu'un, ça veut dire que tu vois pas du tout nos têtes ? A quoi on ressemble ?
- Je vous reconnais, avec les silhouettes, les voix, les formes basiques comme les cheveux, les barbes. Mais oui, je vois très mal vos expressions.
- Ah, ben c'est pour ça alors, que t'aimes autant Dixon, tu t'es jamais rendu compte à quel point il était moche ! »

L'assemblée éclata de rire.

« C'est incroyable qu'elle arrive à aussi bien jouer aux cartes alors qu'elle voit que dalle de nos tronches. Comment elle peut aussi bien savoir quand on bluff ou pas ?
- Parce que vous mettez tellement d'effort à pas que ça se voit sur vos visages, que ça se voit partout ailleurs, déclara Shumpert.
- N'empêche que ça règle pas l'problème des rois et des valets qui s'ressemblent. C'est une honte que notre championne ait du mauvais matériel, on devrait avoir des cartes plus grosses, blagua Caesar.
- Hé, vous marrez pas, rétorqua quelqu'un, ma grand-mère, elle en avait un, spécial pour les vieux qui voient mal, avec les trucs plus simples et plus grands. On s'faisait des super parties d'rami, à la maison de retraite quand j'étais gamin.
- Je suis jalouse de ta grand-mère », répliqua Haze tranquillement.

Alors qu'au moins trois personnes étaient en train de prendre mentalement note de lui trouver un jeu adapté aux malvoyants, à peu près tout le monde, une fois de plus, n'en revenait pas de la capacité qu'elle avait à arborer sur commande un visage qui n'exprimait absolument rien du tout. Zéro. Nada.

La timidité des cimesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant