35. Tu perds peut-être des batailles, mais tu gagneras la guerre.

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Lorsque Merle rentra chez lui ce soir-là, il était plus tard que prévu, sa sortie du jour s'était éternisée, et l'avait forcé à laisser Hazel seule toute la journée. C'était la première fois qu'il s'absentait si longtemps, et il appréhendait un peu. S'il avait su qu'il serait de retour si tard, il se serait arrangé pour que quelqu'un d'autre passe la voir dans l'intervalle. Mais bien évidemment, il avait fallu que ce soit encore une de ces missions à la noix que le Gouverneur l'envoyait faire tout seul, avec la consigne de n'en parler à personne.
Un jour, se disait-il, il aurait un pépin, et à cause de ces conneries, il crèverait tout seul là dehors parce que pas un glandu ne saurait où le chercher.

La grande lumière était allumée dans le salon, et il découvrit Hazel recroquevillée le long du canapé, tournée vers le dossier. Elle avait déplié le plaid sur elle et n'eut aucune réaction à son arrivée, apparemment endormie.

Pourquoi est-ce qu'elle dormait là, alors qu'elle avait un lit à elle ?
Peut-être qu'elle l'attendait ? Ou bien sa chambre était froide ?
Il lui avait répété plusieurs fois que si elle ne l'ouvrait pas suffisamment durant la journée, la chaleur du poêle ne risquait pas de traverser la porte, mais bien sûr, l'Escargot était beaucoup trop tête-en-l'air pour s'en souvenir.
Evidemment, elle n'avait pas pensé non plus à remettre du bois dans le fourneau.

Avec l'arrivée imminente de l'hiver s'était posée la question épineuse du chauffage. La production d'électricité de Woodbury, obtenue à l'aide de quelques panneaux solaires, souvent plus proche du bricolage d'amateurs que de l'énergie du futur, ne suffirait certainement pas à chauffer une ville, ville qu'elle peinait déjà à pourvoir au quotidien rien qu'avec la demande en lumière, eau chaude et appareils divers.

A la base, l'appartement dans lequel Merle habitait était uniquement équipé d'un climatiseur avec une fonction de chauffage, mais c'était beaucoup trop gourmand en jus pour qu'il puisse se permettre de l'utiliser, ce qui lui avait d'ailleurs valu de crever de chaud en été, dans sa mezzanine mal isolée transformé en cuit-vapeur.
Comme il était le seul habitant de l'immeuble, il avait décidé, à un moment, de s'installer un chauffage au bois, et avait déniché un antique poêle en fonte qu'il avait forcé deux gars à lui monter au troisième étage, ainsi que deux stères de bois qui étaient venu s'entasser dans le bureau inoccupé.

Revenir à ce mode de chauffage plutôt archaïque lui rappelait des souvenirs de jeunesse, à l'époque où, enfant et adolescent, il vivait avec Daryl et le père de ce dernier, dans une ferme. La corvée de bois était de rigueur, et lui échoyait bien plus souvent qu'à son tour.
Le poêle lui suffisait bien, il n'était pas frileux, plutôt l'inverse en fait, et l'engin, judicieusement placé dans le salon, faisait monter la chaleur dans la partie mezzanine. Il ne l'allumait généralement que le soir, histoire d'avoir une chambre vaguement tiède, dont il se contentait sans problème.

Bien sûr, maintenant qu'il avait une nouvelle personne vivant à temps plein dans l'appartement, c'était différent, surtout qu'il était évident qu'Hazel avait des tout autres besoins que les siens en matière de chaleur et de confort. Quoique... ça restait à prouver. Elle ne se plaignait jamais, ne réclamait jamais rien. Peut-être que ses premiers mois de fin du monde l'avaient endurcie bien davantage que ce qu'il s'imaginait. Quelque fois, il lui fallait un effort de mémoire pour se souvenir que tandis que lui était encore à Atlanta, dans une situation relativement tranquille, à faire du camping muni de ses deux mains, elle était déjà plongée en plein enfer.
Mais quoi qu'il en soit, endurcie ou non, il tenait à ce qu'elle soit bien, aussi mettait-il un point d'honneur à ce que le fourneau soit allumé dès le matin.

Mais bien évidemment, Hazel était trop dans la lune pour penser à remettre du bois dedans régulièrement, et elle avait laissé crever le feu à peu près à chaque fois qu'il avait dû s'absenter.
Merle prenait la chose avec philosophie, rallumant le fourneau sans s'agacer, répétant patiemment les mêmes consignes face à une Hazel qui s'excusait, catastrophée, comme à son habitude d'hypersensibilité. Les innombrables maladresses, oublis et bévues de la jeune fille ne parvenaient pas à entamer la patience dont il avait décidé qu'il ferait preuve à son égard. Elle avait la tête bien trop encombrée de sujets extrêmement graves pour que des détails du quotidien puisse y élire domicile, comme entretenir un feu.
Ça finirait bien par rentrer dans son petit crâne nuageux une fois qu'elle aurait trouvé comment y faire un peu de place, se disait-il.

La timidité des cimesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant