1. Comment est-ce que tu t'es fourrée là ?

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La première fois où il l'aperçut, il ne risquait pas de l'oublier

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La première fois où il l'aperçut, il ne risquait pas de l'oublier.

Il avait déjà vu toutes sortes de choses saisissantes, mais jamais aucune de cette nature.
Il avait vu des centaines, des milliers de morts-vivants, mais il n'avait encore jamais vu de fantôme.
Et pourtant c'était la première chose qui lui était venue à l'esprit en l'entrevoyant : un putain de fantôme.

L'espace de quelques instants, il était resté interdit, son cerveau comme bloqué, non pas de peur, mais de stupeur, parce qu'il avait sous les yeux quelque chose qu'il ne parvenait pas à identifier. S'il avait lu ou connu Freud, il aurait pu ensuite relier ce bref moment au concept d'inquiétante étrangeté, ce malaise particulier né d'une rupture soudaine dans la rationalité.

Juste après avoir vu l'apparition, il se dit que ce n'était pas réel. Enfin, pas quelqu'un de vivant. C'était forcément un de ces mannequins en plastique de magasins de vêtements. Mais c'était stupide, comment un mannequin serait-il arrivé là-haut ? Et surtout, un pantin de plastique n'aurait pas attiré de rôdeurs. Or, il y en avait quatre, qui tendaient avidement leurs bras dans sa direction. C'était donc bien vivant.

Il n'aurait pas prêté attention à une telle scène normalement. Au contraire, il aurait dû profiter du fait que les morts-vivants étaient occupés à autre chose pour passer sans se faire remarquer. Mais c'était trop tard, sa curiosité était piquée, il voulait comprendre ce qu'il venait de voir. Peut-être qu'il avait halluciné, et que, le temps de prendre ses jumelles dans son sac et de faire la mise au point, l'apparition se serait évaporée ? Mais non, elle était toujours là lorsqu'il la détailla à travers les verres grossissants.

Non, pas un fantôme, mais un être humain en chair et en os. La fille la plus bizarre qu'il eut vue depuis des mois.

C'était une gamine, se dit-il par pur réflexe, parce que son corps semblait très menu, qu'elle avait l'air de porter une espèce de jupe, et surtout à cause des cheveux longs, ramenés en tresse dans son dos. Et ce qui était hors du commun, c'était sa couleur. Ou plutôt, l'absence de cette dernière.
Elle était toute blanche. Il avait déjà vu des femmes très pâles, ou des peaux extrêmement claires, mais là, non, c'était une fille sans la moindre couleur, comme si on l'avait roulée entière dans la farine, blanche quoi. Porcelaine, plus exactement. Ouais, c'était ça, sa carnation avait l'exact ton pastel très légèrement rose de la céramique ou de certains coquillages. Ses cheveux, eux, étaient plus inhabituels encore, ils avaient une teinte d'ivoire délavée qu'il n'avait jamais vue nulle part auparavant, pas même chez les blondes les plus peroxydées.
À part ça, elle avait l'air normal. Une gamine comme les autres, mais qu'on avait fait mariner dans la javel.

Sa blancheur attirait d'autant plus le regard que tout autour d'elle était sombre. Le ciel était d'un gris plombé presque orageux, que reflétaient les flaques du grand parking à l'asphalte anthracite, parsemé de feuilles mortes couleur marronnasse. Même les quatre rôdeurs semblaient boueux, leurs peaux obscurcies par la putréfaction, leurs vêtements salis de terre. Et au milieu de ce tableau morne et lugubre, cette fille était là comme une apparition fantasmagorique.

La timidité des cimesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant