39. Je suis contente d'être aveugle pour pas voir ça.

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L'endroit où les habitants de Woodbury venaient manger et boire était appelé le réfectoire, ou la cafétéria, des fois

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L'endroit où les habitants de Woodbury venaient manger et boire était appelé le réfectoire, ou la cafétéria, des fois. Il était tenu par Dolly, une quarantenaire qui était l'archétype de la femme corpulente et sympa, qui parlait fort, faisait des blagues, était toujours de bonne humeur et prenait plaisir à nourrir les gens.

Dolly avait été mère de famille, sous le joug d'un mari morne et strict dont l'apocalypse l'avait heureusement débarrassée, et par un coup de dés du destin, qui décidément se manifeste parfois dans les circonstances les plus étonnantes, avait atterri à Woodbury pile au bon moment pour réaliser son rêve de toujours : tenir un restaurant.
Elle adorait ce qu'elle faisait, elle adorait réfléchir à des menus, présenter des plats, aller et venir entre les tables, satisfaire ses « clients ». Elle était la moitié sociable du duo qu'elle formait avec la seconde tête pensante du réfectoire, Gideon, un vieux noir aimable et discret, cuisinier d'école à la retraite. A eux deux, ils régnaient en tyrans bienveillants sur une petite escouade de gamins et de vieillards encore à peu près capables, qui s'affairaient en cuisine, en salle et derrière le bar.

Au réfectoire, Dolly, qui devait se voir comme l'incarnation de la Mère Nourricière, avait tenu à créer une ambiance aussi chaleureuse et épicurienne qu'elle, et, si les habitants de Woodbury appréciaient d'y passer du temps, c'était en grande partie dû à sa présence solaire et son bon caractère. Elle avait l'art de remonter le moral, de dédramatiser, de voir la vie sous un jour positif. Presque trop, jugeait Merle, qui la trouvait parfois un peu agaçante. Son côté bisounours et indécrottable optimiste, et ses blagues quelquefois forcées, lui tapaient légèrement sur les nerfs. Mais lui aussi passait beaucoup de temps au réfectoire. Tous ses repas avant l'arrivée d'Hazel chez lui, déjà, mais aussi des pauses café, ou juste des petits creux.

Il y avait perpétuellement du café chaud, et toujours quelque chose à manger. Même la nuit, lorsque les lieux étaient déserts, Dolly veillait à laisser aux gars qui étaient de garde de quoi faire au choix un repas du soir très tardif, ou un petit déjeuner d'avant l'aurore. Merle avait noyé beaucoup de moments de cafard dans son café, et dilué des dizaines de missions éprouvantes et de nuits blanches forcées dans ses tartes et ses pancakes.

Il y avait une rumeur qui circulait disant que Dolly était secrètement boulimique, qu'elle noyait tout son chagrin et son anxiété dans la nourriture, qu'elle engloutissait compulsivement par kilos, avant de se faire vomir. Mais il y avait aussi une rumeur qui disait que l'épidémie de rôdeurs était un virus extraterrestre dans le cadre d'un complot des Reptiliens, alors les rumeurs, hein...
Merle n'avait pas grand chose à reprocher à Dolly. Elle faisait les tartes exactement comme il aurait aimé que sa mère les fasse, s'il avait eu la chance d'avoir ce genre de mère — malheureusement, avec sa mère à lui, les tartes, c'était uniquement dans la gueule. Et depuis qu'il avait sa nouvelle pensionnaire, Dolly prenait à cœur de le pourvoir généreusement en petites douceur à lui rapporter à la maison.

Mais aujourd'hui, pour la première fois, Hazel avait dit oui quand il avait proposé de l'accompagner dehors, officiellement pour prendre le gouter, officieusement pour qu'elle ne commence pas à se transformer en ermite recluse, et que sa peau blafarde revoie un peu la lumière du jour.
Il savait que c'était difficile pour elle d'oser se montrer en public. Elle ne mettait déjà jamais les pieds au réfectoire avant, alors y aller après que tout le monde ait su pour sa tentative de suicide, c'était pour elle une vraie épreuve.

La timidité des cimesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant