Casser des murs - Partie 5

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Quelque part à l'ouest des Murs, 16 avril 852

La nuit était tombée sur ce vieux village à demi dévasté. Carla regarda l'immense ciel azur, dont la lune blanche effaçait presque les étoiles qui le piquaient par millions. Cela faisait deux jours que le trio s'était enfui de la base : les quelques passages à pieds avaient été une bagatelle pour Isaac, épuisants pour la brune, et presque fatals pour Marion.

Ils avaient fait de leur mieux pour lui fournir des antidouleurs, désinfecter son entaille et son orbite béant, et aggraver son cas le moins possible. Aggraver le moins possible, car ce voyage allait forcément avoir des conséquences sur sa santé. Seulement, rester chez les américains aurait été mortel pour sa condition mentale.

La sœur Griffonds en avait désormais entendu parler, des modifications de mémoire. Et s'ils avaient appliqué cela sur la chercheuse, elle ne serait devenue rien de plus qu'un pantin. Voilà pourquoi elle tenait tant que cela à partir d'ici...

Et puis, il y avait manifestement une armée entière qui l'attendait, dans les Murs. Si Carla avait bien souvent lu une culpabilité sans borne sur le visage à demi défiguré de sa cadette, la détermination qui avait parfois pointé dans le vert de son œil restant suffisait à traduire la ténacité avec laquelle elle comptait supporter ce périple. De quoi s'en voulait-elle ? Elle n'en parlait pas. Elle n'allait probablement jamais le faire. Il y avait beaucoup de choses que Carla ne savait pas, mais cela était peut-être mieux ainsi.

Elle laissa échapper un long soupir, et s'appuya contre l'entrebâillement de pin rongé de l'entrée. Dans la première pièce de cette bâtisse peu solide était allongée la scientifique. Puisque sol comme murs étaient de pierre, ils avaient fait un feu, dans un coin. Ses flammes dansantes mettaient aisément au grand jour l'inquiétude d'Isaac, dont les prunelles rouges ne quittaient jamais, jamais Marion du regard.

Quelle genre de relation partageaient-ils ? Les yeux ambre de Carla remontèrent sur les poutres poussiéreuses et infestées de toiles d'araignée de leur abri de fortune. Il était évident que l'américain tenait énormément à elle. Quant aux sentiments de Marion, ils étaient presque indécelables. La brune pouvait tout juste voir qu'elle lui vouait une confiance certaine. Du reste, elle lui prenait la main de la même manière qu'à elle. Non, peut-être plus souvent... Mais c'est sûrement dû au fait qu'Isaac aussi en a dû subir, des mutilations. Dans ce cas précis, il la comprend mieux que moi.

« Marion », murmurait-il d'ailleurs. Son ton angoissé ne surprit même plus l'aînée. « Nous allons garder la maison. Tu peux te reposer tranquillement, d'accord ? On reste là. On viendra près de toi à tour de rôle. » Faible hochement de tête de la part de l'intéressée, dont les doigts se crispaient machinalement sur la veste kaki et épaisse qui lui servait de couverture. « Je prends le premier tour de garde », annonça la plus âgée. « Isaac, repose-toi. »

Il leva son visage pâle et androgyne vers elle. Ses cheveux blancs étaient en bataille. Il ne pouvait plus les attacher, puisqu'il avait perdu son élastique dans ses transformations : sa féminité ressortait donc largement chez lui. Depuis combien de temps ne les avait-il pas coupés, pour qu'ils atteigne ses épaules musclées de la sorte ?

Toujours était-il que, désormais, ils cachaient presque les profondes marques de ses métamorphoses. Ils avançaient ainsi de jour : Marion dans les bras de Carla, et Carla solidement accrochée au dos immense du géant, à amortir chacune de ses foulées. Des cernes inquiétants se dessinaient sous ses yeux pourpres. Alors, lorsqu'il ouvrit ses lèvres fines pour protester, elle leva fermement une paume.

« Reste donc avec elle, et dors un peu ! Ça la réchauffera. Tu nous a mis des titans, autour du bourg : je peux me débrouiller, j'ai aussi passé un service militaire. Je te réveillerai plus tôt s'il y a un problème. » Après une brève hésitation, il acquiesça, et s'installa à la gauche de la blessée, près de la partie intacte de sa face. La jeune femme ne bougea pas. Elle ne fit qu'haleter faiblement – et trembloter, aussi.

ᴀʟʟᴇʀ-ʀᴇᴛᴏᴜʀ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7[1] ⌜ᵗᵒᵐᵉ ⁴⌟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant