Ce n'est qu'un au-revoir - Partie 2

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Stohess, district ouest de Sina, 25 mars 852

Hitch le connaissait par cœur, le couloir du rez-de-chaussée. Long, avec des murs de briques claires et bien taillées et un plancher de pin aussi ciré que les quelques portes qui se promenaient là. De la vaste fenêtre des escaliers, qu'elle venait de descendre, coulait à flots la lumière froide de ce matin-là.

Toutefois, si les yeux verts et pâles de la brigadière avaient parfois observé cet environnement agréable, ils ne s'y promenaient plus. Ce fut machinalement qu'elle se posta à côté d'un Boris toujours aussi petit, blond et fatigué : elle remarqua à peine son coup d'œil un poil préoccupé.

Et son dortoir en bordel, et son matelas confortable du haut de son lit superposé, et sa vaste armoire de chêne à la penderie étroite mais luxueuse pour l'armée : rien, rien de tout cela ne méritait son attention. Car, dès qu'elle se levait, c'était une mutilée qu'elle voyait dans le miroir.

Elle passait sur les cicatrices roses qui barraient sa joue, son nez et le dessous de son œil : le moignon qui lui servait de main gauche surplombait tout le reste. Il en avait fallu, du temps, pour qu'il se referme... Cependant, Hitch avait encore cette blessure au travers de la gorge, et cela allait certainement durer un bon moment.

Cette sensation était tout de même étrange. Elle avait parfois encore l'impression que sa main était là ; l'envie de la gratter la démangeait par moment. Elle aurait même plusieurs fois juré avoir ouvert et fermé le poing gauche. Ce phénomène allait jusqu'à la pousser à vérifier que son membre avait bien été tranché, et que seule une prothèse de métal, couronnée d'un mignon petit crochet, allait bientôt prendre la place des bandages. Elle avait insisté pour rester dans l'armée ; cet accessoire lui avait servi d'argument principal.

Au moins, je serai classe, pensa-t-elle amèrement en étudiant son pansement. Elle avait eu cette idée dans un subit éclair de génie incommensurable. Non seulement les américains l'avaient-ils dégoûtée, mais en plus la haine rongeait-elle désormais son estomac : Hitch comptait bien avoir sa vengeance. Mieux valait-il que le premier ennemi qui allait la croiser ne se prosterne devant elle, ou elle allait mettre ses futures techniques de corps-à-corps en pratique...

C'était-à-dire, une mandale de fer dans la mâchoire, et quelques lambeaux de peau en moins. Marlowe lui-même avait lâché un sourire satisfait à cette idée. Et heureusement, ronchonna-t-elle en son for intérieur. Il me doit la vie. Il a beau s'être excusé...

Et il arriva bientôt, du haut de son mètre quatre-vingt-cinq. Il avait grandi, en deux ans. Elle aussi avait gagné sept centimètres... Et Boris, avec ses mèches aussi blondes-argentées que lisses, qu'il laissait négligemment couler sur le côté, stagnait à une tête de moins que leur futur commandant. Même elle dépassait ce demi-nain, c'était dire.

Lorsque Naile Dork fit également son apparition au coin du long corridor, et posa ses petits yeux sombres et impassibles sur eux, ils plaquèrent immédiatement leur poing contre leur poitrine. Les bottes brunes de leur supérieur claquèrent longuement sur le plancher avant qu'il ne s'arrête devant eux. Marlowe s'était déjà placé en face. Il jeta un œil à Hitch, elle esquissa un rictus amer, il se renfrogna.

« Boris, tu partiras pour Shiganshina dans deux jours », annonça sobrement le haut-gradé. « Il faut protéger la cité durant la contre-attaque des Murs. L'officier Aiblinger ne t'accompagnera pas. » « Il ne vaut mieux pas qu'une serpillière supervise l'opération », traduisit la brigadière avec ironie. « Tu seras sous le commandement de Marlowe Freudenberg et Djel Sannes. »

Sannes, encore ? « Compris, commandant. » Remarque..., songea-t-elle en voyant l'air concentré de son camarade. On avait fait un bon travail d'équipe. Récupérer la seconde chèvre de la Trinité leur avait valu une petite promotion. Voilà qu'ils allaient désormais pouvoir ordonner quelques pions – les nouveaux qui allaient se pointer l'été même.

ᴀʟʟᴇʀ-ʀᴇᴛᴏᴜʀ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7[1] ⌜ᵗᵒᵐᵉ ⁴⌟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant