Stéphane Bern - Partie 5

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Iekaterinbourg, Russie, 14 janvier 2019

Salle de transfert spatio-temporel, encore. Cage cette fois-ci translucide, tables blanches alourdies par une flopée d'ordinateurs fins et de câbles noirs, murs de béton dont la froideur ne faisait qu'être plus soulignée encore par les néons blafards du plafond gris. Antoine allait finir par faire une overdose de voyages, mais il n'avait pas le choix.

Cette fois-ci, il allait être envoyé pour de bon dans la ligne d'univers de Livaï et de Marion, et allait sauver ceux qui n'auraient pas dû être tués aussi lâchement.

Mais au lieu de se tenir assis sur une chaise, il se plantait bien solidement sur ses pieds. On lui avait gentiment offert une veste militaire brune au tissu épais, un pantalon noir, et un équipement tridimensionnel spécial soldats des Murs. Les chaussures divergeaient certes, puisqu'elles se comportaient en de plus ou moins lourdes bottes noires et courtes – des rangers version allégée, en somme.

« Maintenant que tu m'as notifié de l'attaque que l'on va subir fin mai... Et que je vais pouvoir éviter le démantèlement de la Résistance 2.0... Résumons ta situation », dit Stéphane Bern, assis face à l'un des PCs. « Jean a été assassiné le deux septembre 851. Livaï s'est pris deux balles de M6 le dix-sept février 852, Erwin s'est suicidé dans la nuit du deux mars, et Shiganshina s'est fait attaquer le neuf par les américains. Ils ont enlevé Marion, tué Pixis, blessé Kenny, et récupéré Isaac, Eren et Armin. »

Antoine déglutit avec malaise. Il le savait, la suite n'allait pas lui plaire. « Le Bataillon est parti pour une contre-attaque le trente. Il a récupéré Eren, Rebecca, et Ymir, mais a perdu beaucoup de soldats, et a laissé Marion, Isaac, et Armin derrière lui. De plus, aucun titan ennemi n'a été abattu. » Courte pause.

« Et avant cela même... Le deux avril, Shiganshina a encore été envahie. Un titan semblable à celui d'Ymir a déboulé sur le Mur extérieur, et a renversé les canons, et les soldats aussi. Livaï, Marlowe et Boris ont été pris d'assaut par une trentaine d'américains en manœuvre tridimensionnelle, armés de fusils d'assaut, et par une jeune fille, une semi-géante dont le titan ressemble grandement à celui d'Annie. Elle a abattu Livaï. Les américains ont infiltré la base, et ont récupéré les trois chèvres. Un Résistant est mort dans l'opération, et un second a activé des titans Muraux, qui ont fait fuir les américains... Trop tard. En apprenant cela, Marion s'est suicidée le huit avril. »

Son cœur se tordit avec violence. Encore. Mais le jeune homme y était habitué. Cela lui était arrivé une bonne vingtaine de fois, durant le mois qui était passé. Ses blessures étaient désormais refermées, il avait continué à entretenir son corps, il était prêt à abattre les ennemis qui allaient peut-être lui tomber sur la gueule à l'arrivée. Après tout, il n'avait pas un jeu de lames pour rien. « On ne sait jamais », avait dit Bern.

Cependant... « Voilà ce que tu dois empêcher », souffla le général. « L'électro-encéphalogramme est bien installé ? » Son subalterne vérifia une énième fois les électrodes, et hocha la tête. Il ne broncha pas lorsqu'il sentit une légère décharge lui picoter le crâne. Il n'y avait plus de retour en arrière possible. S'il enlevait ce machin...

« Si tu enlèves ce machin de ta tête, tu mourras sur place », laissa alors tomber l'ancien journaliste. L'intéressé fronça les sourcils.

« Oui. Je le sais.

— Tu as mémorisé toutes les informations ?

— Oui, toujours.

— J'ai confiance en toi, Antoine, énonça-t-il. »

Son ton lugubre le cloua sur place.

« ... Qu'est-ce que vous planifiez ?

— Tant sur le plan physique qu'intellectuel, l'ignora l'adulte. Tu sauras faire face à n'importe-quelle situation. Tu as suivi un entraînement intensif, et tes capacités ont été largement décuplées. Maintenant... »

Il pianota rapidement sur le clavier.

« Antoine, sauve Livaï de cette semi-géante, et fais tourner les tables... Ne serait-ce qu'à ça, articula-t-il d'une voix sourde.

— ... Hein ?

— Je ne sais pas à quel endroit de Shiganshina tu seras transféré...

— Non, trancha son interlocuteur. Fermez-la deux secondes. Vous m'envoyez le premier septembre, cette gosse ne sera pas là. »

Silence. Silence bien trop lourd. Antoine ne réalisa ce qu'il se passait que lorsqu'il vit l'horreur illuminée plaquée sur le visage triangulaire du général.

« Deux avril 852, à l'aube, murmura-t-il.

— ... Deux avril ? »

Ses yeux clairs s'écarquillèrent brutalement. Il s'avança vivement vers la vitre, les dents serrées au possible.

« Vous aviez annoncé le premier septembre 851 ! Vous avez perdu la tête ?

— Je ne les laisserai pas gagner de si peu.

— C'est nous qui allons nous faire décimer, si vous faites ça ! s'écria-t-il avec véhémence. Arrêtez ce bordel, et...

— Et tu penses que les choses doivent être aussi faciles ?! »

Il ouvrit la bouche, mais fut incapable de répondre. « Tu n'as jamais connu ce sentiment, n'est-ce pas... » Le rire brisé qui suivit frappa le jeune homme en plein bide.

« Je n'en ai rien à foutre. Arrêtez cette blague, et...

— La date est rentrée. »

La date était rentrée, et une douleur vicieuse s'insinua dans les tympans du guerrier. Il contracta les mâchoires, et frappa la cloison avec furie.

« Enfoiré ! tonna-t-il. Avorte l'opération, ou je te trucide !

— Retire ce casque, et tu es mort.

— J'en ai rien à battre !

— Tu n'as pas Marion à sauver ?

— Avorte ce foutu transfert ! »

Il n'obtint aucune réponse ; et la souffrance, elle, s'intensifia au point de le faire chanceler. « Bern, putain ! » hurla-t-il encore. « Tu... » Il s'étrangla, la rage reprit le dessus.

« On va tous crever, si tu fais ça ! T'es devenu taré ?! Oh, Bern !

— Peut-être..., souffla l'intéressé, l'œil rond. »

Peut-être, et ce fut tout ce qu'Antoine entendit de sa bouche. Il eut beau cracher sa rage à gorge déployée, seul le vide lui répondit. Il ne vit rien de ce qu'il se passa ensuite. Le monde tourna follement autour de lui, des larmes brûlantes lui montèrent aux yeux, une haine incommensurable tordit ses entrailles.

Il perdit connaissance l'instant d'après.

(Lien vers l'image : https://www.deviantart.com/shionchineko/art/Butterfly-Lovers-GDC--761138490)

ᴀʟʟᴇʀ-ʀᴇᴛᴏᴜʀ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7[1] ⌜ᵗᵒᵐᵉ ⁴⌟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant