La Résistance 2.0 - Partie 2

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Dans cette même petite ville de l'ouest de la France, 24 janvier 2015

« Moi et mon meilleur ami ». C'était donc d'Antoine dont elle lui avait parlé. Pourquoi ne lui avait-elle pas dit la vérité ? S'ils se rencontraient de nouveau, il lui poserait la question, s'était-il promis. S'ils se rencontraient de nouveau...

Douze ans qu'il ne l'avait plus revue, neuf qu'elle était apparue sous une forme complètement inédite. Marion était une jeune fille énergique, souriante, et intelligente. Elle brillait assez pour avoir appris à Antoine comment rire, et celui-ci ne se faisait pas prier. Elle avait longtemps été sa seule amie, et ça crevait les yeux : il s'y était lié dès qu'il l'avait vue.

Ce jour-ci, Antoine fêtait ses treize ans. Comme de nombreuses fois, Marion était chez eux, et ils étaient assis autour de la petite table blanche de ce salon-cuisine étroit signé Chaillot. Si Kenny était fier de sa quinzaine de crêpes, eux ne semblaient pas du même avis, au vu de la posture raide qu'ils avaient adoptée en s'asseyant sur leur chaise de bois respective.

Il avait appris à passer outre la douleur qui avait tenté de le déchirer pendant des mois. Si Marion et Marion se ressemblaient sur beaucoup de points, ce n'étaient pas les mêmes filles. Enfin quoi, celle-ci n'était capable de lui parler des trous de ver que depuis deux ans ! Il y avait un fossé entre les deux, un fossé plus que conséquent. Sans parler de sa monture carrée, qui n'était pas encore rouge, mais bleu ciel...

« Dis, Fabien », énonça-t-elle d'ailleurs. « Ce sont des... crêpes ? » Face à son air très, trop incertain, il fronça les sourcils. « Bien sûr que oui. Quoi d'autre ? » Les deux meilleurs amis échangèrent un regard horrifié.

« Du charbon, souffla-t-elle.

— De l'ardoise.

— Le compost de mon jardin.

— Le désert noir d'Egypte.

— Le Piton de la fournaise.

— On juge pas un livre à sa couverture ! protesta l'adulte. »

Un rictus tordit le visage fin d'Antoine.

« Dixit celui qui juge le manteau rose de la voisine tous les matins...

— C'est une exception ! Bon sang, goûtez-les, au moins, râla-t-il. »

Silence. Ce fut Marion qui pinça ses lèvres fines, et tendit une main hésitante vers la crêpe du dessus. Celle-ci était certes un petit peu brûlée... Mais Kenny était persuadé que cela rajoutait du goût. Enfin quoi, elles n'étaient pas si ratées que ça ! Il les avait faites avec soin, en plus.

Les jeunes, de nos jours... Il plissa les yeux. Ou alors, c'est moi qui suis trop vieux ? Trente-six piges, ça va, pourtant. « Antoine », marmonna la jeune fille. « Tu veux bien me passer la confiture ? » L'intéressé remit une énième fois la longue mèche noire qui tombait trop souvent devant ses yeux clairs et perçants. Sa chevelure lui arrivait à la moitié du dos, mais son oncle avait beau lui conseiller de la couper... Enfin, il fait ce qu'il veut.

L'adolescent se leva, se dirigea vers leur mini-frigidaire coincé entre l'évier gris et le four tout aussi coloré, l'ouvrit, et le fouilla avec concentration. L'homme en profita pour se désespérer un peu plus face à son environnement.

Si le robinet se trouvait classiquement sous la fenêtre, le reste était mal foutu : le plan de travail encombré de boîtes de conserve à la surface de vieux bois n'excédait pas les trois mètres de long. Les assiettes étaient rangées dans les placards blancs du dessous, et les verres, en hauteur... Disposition qui les obligeait à travailler leur souplesse tous les matins. La table claire et carrée, elle, était collée contre le mur jaunâtre de droite par manque de place.

ᴀʟʟᴇʀ-ʀᴇᴛᴏᴜʀ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7[1] ⌜ᵗᵒᵐᵉ ⁴⌟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant