Chapitre 18

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Des empreintes de pneus noirs formaient une courbe qui se prolongeait jusqu'au fossé. Le bitume avait retenu des marques de ce soir-là. Je continuai de suivre les traces comme une piste. Plus je me rapprochais, plus je me sentais stressée à l'idée d'y découvrir des choses. L'accident que nous avions eu avec ma mère me semblait très suspect. D'autant plus que c'était depuis cet évènement que j'étais devenue un vampire.

Depuis le début, je n'y croyais pas du tout à cette histoire de verglas. En y repensant, il n'y aurait pas eu de traces de pneus si nous avions réellement glissé sur une grosse plaque de verglas. Tout cela m'intriguait énormément.

Une fois arrivée au bord du ravin, je me décidai à lever les yeux du sol. J'y découvris ce que je pensais. La voiture était toujours là, en contrebas. Ils n'avaient pas eu le temps de l'emmener. Pour que l'enquête se poursuive dans de bonnes conditions, il était fortement recommandé de ne pas toucher à la scène de crime.

Des banderoles de police étaient placées tout autour de la voiture et l'encadraient. Il était fortement déconseillé de s'approcher d'éléments d'enquête comme la voiture sous peine de se prendre une grosse amende voire pire. Je me sentais attirée par ce lieu comme un aimant. Je voulais en savoir plus sur la disparition de ma mère. Ce qui était arrivé n'était pas juste. Il me fallait un coupable et ce n'est pas une soi-disant plaque de verglas qui allait me satisfaire.

— Tu fais quoi ?

Absorbée par mes réflexions, je n'avais pas senti que Luke m'avait rejoint. Des larmes m'étaient montées aux yeux en repensant à ma mère. Je ne pus pas donner de réponse à sa question. Bravant toutes les interdictions, je passai la barrière de sécurité détruite par la voiture et je descendis un peu plus pour rejoindre l'épave. Je ne souhaitais pas que Luke voie ma tristesse.

N'étant plus qu'à quelques centimètres du véhicule, je pu constater l'ampleur des dégâts. La voiture avait dévalé un pan de la côte pour atterrir contre un sapin. Une branche n'avait pas supporté le choc et s'était détachée du conifère. La carrosserie s'en était prise un sacré coup. Le capot à l'avant était entre-ouvert et pratiquement démoli. Le pare-brise avant avait perdu de la matière et un trou s'était formé au centre. Les deux portières avant avaient été forcées pour pouvoir nous extraire de cette carcasse de voiture.

La tristesse montait peu à peu à mesure que je découvrais le lieu. Je ne voulais plus cacher mes larmes.

— Vous m'avez entraîné à chasser dans cet espace pour que je tombe sur la voiture et que je me remémore de sombres souvenirs ? demandai-je à Luke avec un calme qui me surprit.

— Je... heu...

— Je t'en prie, pas de mensonges.

J'entendis une personne se rapprocher de nous. Tyler courait dans notre direction pour nous rejoindre. Je sentis qu'il allait nous demander ce qu'on faisait à parler au lieu de chasser mais je le vis qui se ravisa.

Le vampire se positionna derrière moi. Je trouvai la force de ne pas avoir la voix qui tremble pour lui poser la question à lui aussi.

— Vous en avez fait exprès de me ramener sur les lieux de l'accident, pour me remuer le couteau dans la plaie ?

J'avais la gorge serrée, je tremblais et je n'arrivais pas extérioriser ce que je ressentais.

— Et en plus je n'arrive pas à pleurer normalement car je suis un foutu vampire ! Dites-moi que je fais un cauchemar et que je vais bientôt me réveiller !

Je me mis à me déplacer dans tous les sens. Je repassai la banderole de sécurité mais n'arrivant pas à me faire à l'idée, je la franchis une seconde fois. Je finis par me rapprocher de la voiture et donner un violent coup de pied dans une des roues arrière. Tyler voulut me consoler mais je n'avais que faire de ses belles paroles. Ils ne m'avaient pas tout dit ces deux-là ! Pour une fois que je faisais confiance à des personnes en très peu de temps ! Ils m'avaient trahi aussitôt.

J'essayais de me calmer parce que j'étais vraiment à cran. Je m'assis sur un rocher à quelques mètres de l'automobile. Je ramenai mes jambes au niveau de mon torse et posai ma tête dessus. Mon regard se perdit et je commençai à réfléchir aux différents évènements.

— Jemma..., tenta Luke.

— Non ! Je ne veux plus entendre personne ! criai-je.

« On est désolé de ne pas te l'avoir dit mais je ne pensais pas que l'on serait aussi proche. »

« Tais-toi Tyler. Tu ne peux pas comprendre. »

Une larme froide dégoulina sur ma joue. J'étais redevenue humaine en l'espace de quelques secondes. Ces changements d'état se faisaient toujours aussi fréquents et avaient tendance à m'épuiser.

« Oh si crois-moi. Je sais ce que tu ressens, tu peux faire confiance. Je ne te lâcherais pas tant que je ne serais pas certain que tu ailles mieux. »

Des belles paroles. Jemma ressaisis-toi, il est en train de d'amadouer ! Je ne pouvais m'accrocher qu'à ce douloureux souvenir pour ne pas retomber une deuxième fois dans le panneau. Ce souvenir...

« Mais qui te parle de retomber ? Jemma, tu es plus forte que tu ne le crois. Tu as eu un passé difficile mais celui-ci ne t'apporte que du bénéfice désormais. Ça ne t'a pas détruit, au contraire ! Tu es devenue plus forte. Il faut que tu sois fière de qui tu es et de ce que tu as surmonté. Je m'excuse de toujours lire dans tes pensées mais il y a des choses que tu penses tellement fort que je ne peux pas faire comme si je n'entendais rien. Et mettre des boules Quies ne changera pas grand-chose, crois en mon expérience. »

Ces derniers mots ne me firent pas sourire : j'étais blessée à l'intérieur. Peu de gens savaient par quoi j'étais passée dans mon adolescence. Les souffrances morales que j'ai dû endurer. Quand on est souffre-douleur un jour, on a l'impression qu'on va le rester pour toujours.

Depuis le collège, cette peur me poursuivait. J'avais 14 ans précisément. Je me rappelle d'une chose qui m'avait semblée stupide mais au final qui était à prendre au sérieux. Plusieurs mois déjà, une fille de ma classe m'insultait alors que je ne lui avais rien fait. Chaque jour, inlassablement. J'étais allée chez la coiffeuse pour me couper les cheveux mais elle me les avait coupés trop court. On aurait dit un carré mal fait. Pour moi, elle m'avait rendue chauve.

Le soir même, en rentrant chez moi, je m'étais mise à pleurer dans ma chambre. Je redoutais le lendemain matin, les réflexions que pourrait me faire ma camarade de classe. Ma mère avait essayé de me rassurer par tous les moyens mais en vain. J'avais peur d'aller au collège.

J'y était finalement allé, la boule au ventre. Mon entrée dans la salle de classe fut accompagnée de murmures. Je savais que certains en parlait juste comme une simple discussion mais cela ne concernait pas la totalité des élèves. Je m'étais assise sur ma chaise et la fille en question était venue me voir pour se moquer. Elle m'avait dit une phrase qui était restée gravée dans ma mémoire : « C'est quoi ta nouvelle coupe ? Tu t'es collé un balais sur la tête ? ». Puis elle était repartie dans le même ricanement sinistre et cruel.

Ma voisine de classe avait vu que je n'allais pas bien et elle m'avait questionné. Je ne lui avais rien dit parce qu'il y allait avoir le surnom de « balance » qui allait me coller aux fesses. Alors je m'étais tue mais elle avait insisté pendant la récré et je n'avais pas mis longtemps à craquer. Je lui avais tout révélé et nous étions allés voir un adulte.

Je redoutais ce qui allait se passer par la suite. J'avais peur des représailles. Mais les adultes avaient bien géré la situation : ils l'avaient convoquée et elle ne s'était plus jamais attaquée à moi. Je lui avais en partie pardonné quand elle était venue s'excuser.

Chaque jour je repense à cette période. Je n'oublierai jamais ces mois de soumission, de harcèlement psychologique. J'en garde une leçon aujourd'hui, comme une cicatrice qui ne guérira jamais complètement. Je me repense à cet évènement pour ne pas sombrer une seconde fois.

𝐃𝐞𝐬𝐭𝐢𝐧𝐲 𝐉𝐞𝐦𝐦𝐚 [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant