Chapitre 6

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Pour ne pas changer, le professeur de sport était d'humeur grognon. Pire qu'un adolescent qui allume son portable le matin et qui reçoit un flot de notifications. Cette situation m'arrivait souvent quand Matthieu avait passé la nuit à me parler alors que je dormais. Au moins une fois sur deux, dans la panoplie de messages reçus, il y en avait un qui faisait : « Tu dors ? ». Bah oui crétin, si je ne te répondais pas ça voulait forcément dire que je dormais !

— Un peu plus de force dans tes spaghettis Jane !

Jane Stratton était une fille de ma classe avec qui je ne m'entendais pas trop mal. C'était l'une des rares personnes qui m'adressaient la parole. Car quand on est fille de flic, ce dernier réputé pour arrêter la racaille du coin, on a difficilement des discussions avec les adolescents de sa classe, surtout ceux qui se font appeler les « populaires ».

Il m'arrivait de me poser des questions sur cette catégorie de personnes. Je n'arrivais pas bien à cerner ce qu'ils avaient de plus que nous (si ce n'était un pois chiche à la place d'un cerveau pour certains). D'accord, ils se fringuent en fonction de la tendance du moment, les filles se maquillent beaucoup jusqu'à devenir des pots de peinture, ils ont un flow et un charisme qui laissent supposer leur supériorité (pour certain encore), mais à part ça je ne voyais pas trop pourquoi cette admiration pour eux.

Pendant toute cette séance de sport, j'avais remarqué que quelque chose avait changé. Quelque chose en moi. Depuis l'accident, je n'avais pas cette même attirance pour la nourriture. Depuis le repas servi à l'hôpital, j'avais une forte répugnance pour les aliments. Rien qu'en sentant l'odeur, j'avais des haut-le-cœur.

Et ce n'était pas tout. En plus de ça venait s'ajouter mon endurance physique et Matthieu. J'étais beaucoup moins fatiguée. À mesure que les heures passaient, j'avais de moins en moins envie de dormir. Et pour Matt, il n'a rien fait de mal mais je ressentais de l'attirance pour lui depuis le moment où on s'était revu à l'hôpital. Cette sensation d'attirance est apparue au même moment que le dégoût pour les repas. L'attirance que j'avais n'était pas à associer avec de l'amour mais plutôt à autre chose que je n'arrivais pas à qualifier.

Je ne doutais pas que la journée était loin de m'avoir tout montré. Après le sport, nous nous sommes rendus en Espagnol. Nous avions tout deux que nous n'allions rien faire de très concret durant l'heure.

L'entrée dans la salle de classe se fit bruyamment, ce qui ne changeait pas de d'habitude. Pendant le chahut, une fille que je ne n'appréciais pas particulièrement m'avait bousculée en me lançant un regard noir comme si j'étais fautive de tout ce qu'il se passait de mal dans sa vie. Matthieu, qui me suivait de près, se mit entre nous et cela eut l'effet d'effacer le sourire mauvais du visage de la fille. Avec sa grande taille, il pouvait devenir intimidant.

Le début du cours se passa très lentement jusqu'au moment où, quelqu'un vint frapper à la porte. Celle-ci s'ouvrit laissant voir le sous-directeur. Il avait sa tête de tous les jours, c'est-à-dire un visage sans sourire et le regard vague. Un air très sérieux et sans aucune expression de joie. Il avança dans la classe et c'est alors que l'on put voir qu'un garçon le suivait. À vue d'œil : 1,75m, cheveux blonds tirant un peu sur le châtain clair, plutôt pas mal foutu, je devais avouer. Ce qui attira davantage mon attention ce fut ses yeux d'un beau vert menthe.

Le sous-directeur prit la parole d'un ton monocorde :

— Bonjour. Aujourd'hui vous allez accueillir dans votre classe un nouvel élève : Luke Wyllis. Il nous vient tout droit de Londres.

Là, une grande vague de chuchotements s'éleva. Tout le monde se demandait comment il avait pu quitter Londres, nous qui rêvions depuis tout petit de partir de cette ville si ennuyante. Plus je le regardais, plus il m'intriguait. Sa peau semblait si parfaite et son assurance si mature, à la différence des autres membres masculins de la classe.

— Tu peux t'installer juste devant mademoiselle Lawford, au troisième rang, déclara notre professeur.

Je sortis de mes pensées quand j'entendis mon nom. Nos regards se croisèrent quand ce nouvel élève arriva à ma hauteur. Je détournai brusquement les yeux et ce geste ne passa pas inaperçu. Je compris que Matthieu me regardait bizarrement. Ce dernier me fit un sourire qui voulait tout dire. Luke tira la chaise devant moi et posa ses affaires sur le sol. Il sortit de son sac de quoi écrire.

Peu après que le sous-directeur eut quitté la salle, Matthieu – qui se trouvait à l'autre bout de la classe – me chuchota quelque chose. J'eus du mal à le comprendre. Par chance, j'avais lu le début sur ses lèvres :  « Quoi ! C'est ça ton type de mec... ». Je ne sus pas la suite. Je n'étais pas assez qualifiée dans ce genre de situation.

D'un geste de la main, Matthieu m'indiqua sa poche. Il avait trouvé une autre solution pour me communiquer ce qu'il pensait. Une solution qui faisait bien évidemment moins de bruit. Il sortit son portable de sa poche et le posa sur sa cuisse. En vérifiant que la professeure ne le regardait pas, il écrivit le message.

Matthieu releva ensuite la tête et me fit un clin d'œil pour me dire que c'était bon. Mais le seul bémol, c'était que notre professeur d'espagnol était un vrai radar à portable.

— À moins que vous n'admiriez votre pantalon Mr Johnson, je crains que je ne sois dans l'obligation de vous confisquer ce que vous regardez depuis plus d'une minute.

Matthieu se raidit et tenta désespérément de cacher l'objet électronique. Mais il n'y parvint pas car la professeur fut plus rapide. Durant ce passage, j'avais plus regardé le jeune homme devant moi. J'étais accaparée par ce qu'il dégageait.

Luke avait observé la scène sans broncher. Il ne faisait pas de geste, son visage ne trahissait aucune émotion. Il avait tout d'un être parfait : ses yeux verts, ses cheveux lisses, sa bouche parfaitement dessinée, son nez aquilin... Après réflexion faite, ce que j'adorais le plus chez lui était son nez. Et oui, je savais bien que je faisais une fixette sur le nez des personnes. Je trouvais que cette partie du corps donnait une certaine identité à la personne.

Je regardais le mystérieux garçon devant moi depuis plus de cinq minutes et j'eus l'impression que l'on avait placé une statue à sa place. Il ne bougeait pas, il ne clignait plus des yeux et continuait de fixer Matthieu. Il le regardait comme s'il lisait dans ses pensées, comme s'il cherchait à le connaître. Un mélange entre curieux et psychopathe.

Durant les minutes qui restaient, j'avais été trop concentrée à observer le dos de mon voisin pour écouter les cours. J'étais très intriguée par cet étrange personnage. Si étrange mais si familier en même temps...

𝐃𝐞𝐬𝐭𝐢𝐧𝐲 𝐉𝐞𝐦𝐦𝐚 [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant