85 / Attaque au cœur

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Assis à l'arrière d'un bus, Wira écoutait distraitement une jeune femme raconter à son interlocuteur téléphonique ce qui venait de se passer à l'aéroport. Avec force détails et couinements, elle décrivait une vague de rats submergeant le hall. Le Znūntāk sourit à l'évocation. Il n'avait appelé qu'une vingtaine de rongeurs tout au plus, et ils n'avaient rien submergés du tout. Ils s'étaient simplement amusés en fonçant sur les personnes présentes, comme s'ils avaient eu l'intention de les attaquer. Wira soupira. Les gens était d'une telle crédulité, et tellement craintifs aussi.

Alors que le bus démarrait, une silhouette qu'il reconnut aussitôt, s'avança vers sa position en s'aidant des rampes de métal pour ne pas tomber. Le chauffeur avait une conduite nerveuse qui n'était pas du tout adaptée à l'état des routes... sans compter qu'il était agacé par une femme assise non loin de lui, qui n'arrêtait pas de le houspiller pour qu'il mette la clim. « Clim en panne » ne cessait-il de répéter en accélérant de plus belle.

Aren s'arrêta à la hauteur des sièges où se tenait sagement Wira, sans lui jeter le moindre regard, cependant. C'était la consigne. Pourtant, le Znūntāk ne put s'empêcher de le regretter. Il aimait le regard de Aren sur lui. Pas qu'il y trouva un message quelconque, mais il sentait que son aîné ne le voyait pas seulement comme un être étrange parce qu'il pouvait communiquer avec les animaux, comme la plupart de ses compagnons (même Alya riait de son don parfois, ce qui était assez vexant). Derrière le regard millénaire de Aren, il y avait autre chose que n'identifiait pas Wira, mais qui lui réchauffait la peau s'il y songeait suffisamment, et qu'il n'était pas occupé par autre chose, comme pour le moment.

Assis près de lui, un gros type blond à la peau rougissante, et suant comme un cochon, s'éventait avec un journal. Vu son air désagréable, il était peu probable qu'il laisse sa place à Aren. Il allait donc devoir faire le voyage près de lui. Wira prit donc son mal en patience... au début. Mais L'odeur qui émanait de son voisin incommodait tant le Znūntāk qu'il commença à envisager sérieusement de recourir à son don pour déloger le déplaisant personnage.

Collé à la vitre, il chercha un « ami » ou une « amie » à la rescousse. Une araignée ferait bien l'affaire. Un scorpion serait pas mal non plus. Mais il trouva mieux... un serpent. Un serpent qui avait trouvé un refuge convenable dans l'arrière des sièges du fond du bus.

— Je ne sais pas ce que tu manigances, mais mieux vaudrait en rester là, Wira, dit Aren sans le regarder et dans la langue qui leur appartenait, que personne autour d'eux ne parlait.

L'avertissement du Znūntāk stoppa Wira, et intrigua son voisin, qui se mit à fixer Aren avec suspicion. Il le détailla de la tête au pied, puis, considérant que même avec un teint mat et une barbe (bien taillée, soit dit en passant), un homme qui portait un costume aussi chic et classe, ne pouvait en aucun cas être considéré comme une menace, il reporta son regard courroucé sur le dos de l'infortuné chauffeur.

Obéissant à l'injonction de son ainé, Wira se contenta de remonter son chèche pour éviter de respirer directement l'air du bus. Puis, il se mit à observer le désert environnant, à l'écoute de la vie qui s'y dissimulait. Il songeait à appeler des fennecs pour s'amuser à les voir courir, quand il sentit le danger qui arrivait. C'était une simple vibration qui enflait et que les habitants des sous-sols lui transmettaient. Mais même sans ça, il aurait su que quelque chose arrivait.

— Aren... murmura-t-il, conscient malgré tout, qu'il devait à tout prix ne pas révéler le lien qui existait entre eux, au risque qu'un témoin ne le répète auprès des mauvaises personnes, et que les Dévoreurs ne les identifient comme des cibles potentielles.

Mais Aren n'avait pas besoin de plus que ce murmure pour regarder dans la même direction que Wira, car il était bien plus attentif au jeune homme qu'il n'y paraissait. Il se pencha un peu pour mieux observer l'extérieur. L'odeur du touriste blond ne le fit pas tressaillir tant ce qu'il voyait maintenant accaparait toute son attention.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? dit-il dans un anglais parfait et parfaitement compréhensible de la plupart des occupants du bus.

Si personne n'avait remarqué l'important nuage de poussière qui se déplaçait vers eux à vive allure, ça ne fut plus le cas après sa remarque. Ce phénomène météorologique ou non pouvait représenter un danger pour un véhicule solitaire en mouvement. Le chauffeur inquiet commença à ralentir.

Aren sentait la peur s'emparer des occupants du bus. La plupart avait maintenant les yeux rivés sur le nuage en approche. Ils noyaient le chauffeur d'ordres contradictoires et de questionnements stupides dont il n'avait pas la réponse. Il fallait s'arrêter ou ne pas s'arrêter. Mais qu'est-ce que c'était ? Est-ce que c'était naturel ? Est-ce que c'était une tempête de sable ? Allaient-ils être abordés par des terroristes ? Est-ce qu'il fallait se rendre ou se battre ? Des mères de famille se mirent à pleurer, des enfants à vagir et des vieux à marmonner.

Et puis, le chauffeur excédé donna un grand coup de frein qui fit taire tout le monde. Il donna des ordres clairs. « On la fermait et on restait tranquille. Il s'agissait sans doute d'un convoi d'étrangers partis en vadrouille ou perdus... pas de quoi fouetter un chat ! ». Bougonnant dans sa barbe, il entreprit de redémarrer le bus, quand une détonation traversa le silence relatif de l'habitacle. Le corps du chauffeur s'affala alors sur le volant dans un mouvement lent, provoquant un hurlement venu des passagers les plus proches.

Ensuite, ce fut le chaos. Il n'y eut pas d'autres tirs, mais chacun avait bien compris que les trois véhicules paramilitaires qui arrivaient à vive allure et dont émergeaient des armes lourdes et des hommes peu amènes, étaient une menace réelle. La panique s'empara des voyageurs. Rester dans ce bus, c'était être pris au piège. En sortir également, puisqu'il n'y avait rien ou presque à des kilomètres à la ronde. Pas moyen de se cacher. Pas moyen d'échapper à cette attaque en règle. La plupart des personne présentes étaient recroquevillées sur les sièges ou près du sol.

« Manquait plus ça ! » pensa Aren. Peu importait qui étaient ces hommes et ce qu'ils cherchaient au final, il n'était pas question de laisser faire. Il se précipita donc vers l'avant du bus, en évitant autant que possible de marcher sur qui que ce soit.

Wira essaya, aussitôt, de s'extirper de sa place pour le rejoindre. Mais son voisin, ayant conscience qu'une fois parti, il n'y aurait plus qu'une simple vitre entre lui et l'extérieur, et donc, rien pour le protéger d'éventuels tirs, préférait nettement avoir un bouclier humain devant lui. Ce que Wira lui enlevait en se déplaçant. Le gros homme faisait donc tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher le jeune Znūntāk de bouger.

Wira n'avait pas encore utiliser sa force exceptionnelle. L'ordre de la Matriarche avait été clair : faire profil bas. L'apparition des rats ne comptait pas, puisqu'il les avait appelés pour la sauver. Et puis, personne ne pouvait le relier à l'événement. Personne n'aurait l'idée qu'il puisse être à l'origine de ce déferlement de rongeurs.

Toutefois, à présent, c'était différent. Vu son physique, s'il écartait violemment son gros voisin, tout le monde comprendrait qu'il y avait quelque chose d'anormal dans le phénomène. Il n'avait pas la carrure pour prétendre pouvoir faire une telle chose sans aide.

Et puis, il réalisa que personne ne faisait attention à lui. Tout le monde était tétanisé à cause de ceux qui approchaient. Wira repoussa donc brutalement son voisin et passa au-dessus le lui d'un mouvement digne d'un gymnaste olympique. Et comme si Aren avait voulu lui faciliter la tâche, au même moment, le bus s'ébranla sans un bruit.


De notre sangWhere stories live. Discover now