91 / Aren, l'intrépide sans cervelle ?

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— Je vais mourir ici ! Mais quel imbécile ! Des siècles d'existence, et je vais mourir comme un con, ici ! marmonna Aren descendant vers l'anfractuosité qu'il avait repéré depuis le sommet du rocher. Cela paraissait n'être qu'une simple entaille dans la roche, mais, c'est tout ce qu'il avait trouvé pour se planquer.

Comment avait-il pu croire que son plan était judicieux ? Vraiment ?! Maintenant, il en voyait toutes les failles et se maudissait d'avoir crânement décidé de faire diversion ! Il s'était pris pour quoi ? Un héros ?! Il avait voulu faire le fier face à Wira ?! Détrôner cette espèce d'admiration qu'il avait décelé dans ses yeux quand il regardait Médjès ! Ahhh ! Quel imbécile ! Il n'avait donc rien appris de ses erreurs ?! Même après plusieurs millénaires, il n'aurait pas dû oublier ce que ses sentiments étaient capables de lui faire faire : l'impensable, l'incompréhensible et, en ce jour, le mortellement fatal !

Il repensa à la stratégie désastreuse qui l'avait menée à cette situation. Parce qu'il n'avait plus ni assez d'énergie, ni assez de force, il n'avait pas pu envisager d'utiliser son don comme il l'avait fait dans le bus. Sans compter que ne sachant pas l'ampleur du contingent ennemi, il n'avait aucun moyen de savoir s'il serait capable d'agir sur tout le monde en même temps. Il avait donc regardé le problème sous un autre angle. Se rappelant qu'il suffisait d'un détail pour immobiliser l'ensemble d'une machinerie bien huilée, il avait trouvé un élément fiable pour arrêter l'ennemi, tributaire de moyens de locomotion mécaniques et bruyants.

D'ailleurs, le bruit et le sable les avaient précédés. Aren s'était aussitôt concentré sur cette petite pièce de mécanique indispensable à chaque moteur, avant d'agir sur tous les véhicules en même temps. Il avait juste oublié qu'une fois immobilisés, les véhicules déverseraient leur contenu humain, qui lui, non seulement chercherait à trouver la panne, mais se mettrait aussi en quête de coupables.

Les Dévoreurs étaient loin d'être stupides. Après des siècles de lutte, ils avaient appris à repérer les indices qui pouvaient les amener à soupçonner la présence d'un Znūntāk avec un don. Or, la course poursuite avec un bus magique, et l'empilement de tôle qui avait suivi, étaient des sacrés putains de gros indices ! Et maintenant, la panne de tous les camions en même temps ne pouvaient que conforter leurs suppositions ! Rien de tout cela ne pouvait être une coïncidence. En tout cas, pas dans leur monde !

Aren s'était trouvé superbement con, quand il avait été touché par un projectile venu d'un des camions. Il n'avait même pas vu le tireur et n'avait pas pu anticiper le tir. Sinon, il aurait dévié sa trajectoire ou se serait mis à l'abri. Mais non ! Il était con ! Il était con ! Il avait donc maintenant une balle de Dévoreur dans l'épaule. Une balle enduite de poison qui infusait sa chair...

Une fois installé dans son sandwich de roche, Aren prit conscience que l'anfractuosité était en réalité, une brèche. Il s'enfonça donc, autant qu'il le pouvait, jusqu'à atteindre un conduit qui partait à la verticale vers le bas. Dans l'état où il commençait à être, c'est à dire fiévreux et faible, il ne pouvait envisager de descendre sans dommage. Il jugea qu'il était allé assez loin pour échapper aux regards de ses adversaires qui avaient entrepris d'escalader le rocher, sur le sommet duquel il s'était tenu à plat ventre quelques minutes plus tôt. Le front en sueur collé à la roche, les yeux clos, Aren espérait un peu de répit.

Mais quelque chose dérapa, - le retour du karma sans doute -, car la roche sur laquelle il s'appuyait, s'effrita brusquement et, sans pouvoir s'agripper nulle part, il dégringola au fond d'un trou, et avec lui, d'autres morceaux du rocher, rendant tout retour en arrière impossible.

À présent, couché sur un sol de terre battue, dans l'obscurité la plus totale, Aren soupirait en tentant de ne pas gémir. Il avait au moins une cote ou deux de cassées, et il ne parlait même pas de sa jambe gauche dont le genou faisait un angle bizarre. Il savait ce qui l'attendait s'il ne faisait rien : une lente agonie durant laquelle ses os se ressouderaient mal. Ce qui, s'il s'en sortait, lui vaudrait de devoir recasser les membres, avec tout ce que cela impliquerait de douleur, ou de couper ce qui ne pouvait être sauvé. Et ça, c'était dans le meilleur des cas. Si jamais le poison ne le tuait pas.

Il tata son sac, dont la bandoulière lui sciait un côté du cou, et attrapa son smartphone dont l'écran resta noir. « Évidemment ! » songea-t-il, il n'avait pas eu le temps de recharger la batterie. De toute façon, dans ce trou, il était peu probable qu'il obtienne le moindre réseau... mais il aurait aimé un peu de lumière pour percer l'obscurité.

Il soupira de nouveau en grimaçant. Il était condamné à s'en sortir seul. À moins qu'il ne crie très fort pour attirer l'attention des Dévoreurs qui, trop contents de prendre un Znūntāk vivant, le sortiraient de là. Mais si c'était pour finir sur une table sacrificielle et devoir subir une mort lente par le poison, tandis qu'on lui arracherait le cœur... très peu pour lui.

Il tenta de redresser sa jambe et de replacer son genou sans hurler de douleur. Pour cela, il dut se mordre le bras si fort qu'il sentit la chair s'ouvrir. Puis, il resta là à respirer et gémir. Il devait se reposer. Quand il aurait repris des forces, il pourrait sans doute déplacer les rochers et sortir en volant. Sauf que pour reprendre des forces rapidement, il aurait fallu qu'il ne se fasse pas tirer dessus. Maintenant, pour espérer s'en sortir, il lui fallait du sang. Il pensa aux ennemis, juste au-dessus de lui. Sacs de chair gorgés de sang. Inaccessibles.

Aren serra les poings. Quel idiot il avait été ! La colère ressurgit, et avec elle, le souvenir de Wira et Médjès. Enfin, surtout les dernières paroles de Médjès. Ce défi lancé pour qu'il agisse de manière à revenir vivant. Son cœur se mit en mode excès de vitesse, et son esprit s'emballa. Il voyait les deux Znūntāks ensemble, leurs corps collés l'un à l'autre, leurs lèvres unies dans un baiser sensuel et sauvage. Les mains de Médjès caressant la peau couleur miel de Wira. Son sexe érigé et triomphant qui cherchait un chemin vers la jouissance. Les frissons qu'il faisait naître et les gémissements de plaisir qu'il engendrait. Il pouvait les entendre...

Puis, dans un éclair de lucidité, Aren réalisa que les seuls gémissements qui emplissaient la grotte, étaient les siens, et n'étaient pas liés à la luxure de son délire. Le Znūntāk se retint de crier de rage et de douleur. Le poison empirait son état et le rendait fiévreux. Aren ne contrôlait plus rien, ni les tremblements de son corps qui électrisaient sa souffrance, ni les errances de son esprit.

Il cherchait à échapper à la folie qui s'infiltrait, mais chaque effort le conduisait un peu plus près du précipice. Il allait sombrer, perdre la conscience de son état véritable, et peut-être ferait-il suffisamment de bruit pour que l'ennemi le localise et le récupère. Alors il mourrait vraiment...

Son oreille captait parfois le bruissement de l'eau. Il ne savait pas si c'était réel, mais il devait tenter de s'extraire de cette gangue de fièvre qui le maintenait prisonnier. Il se mit à ramper. Il cherchait un mur, une paroi, quelque chose de frais, quelque chose qui le soutiendrait dans ses efforts.

Alors que tout son corps s'arquait vers ce qu'il croyait être une délivrance, il revit Wira dans l'eau juste avant qu'ils n'abordent l'île où se trouvait le refuge d'Imelda. Près de lui se tenait Dejen. Ses paroles pleines de faux espoirs. Ce moment où, Aren avait cru que pour lui aussi le bonheur était encore possible. Sauf que ça n'était pas le cas, et qu'il aurait dû le savoir. Non, il le savait. Il y avait eu des signes. Des signes qui l'avaient averti de l'impossibilité de cette amour entre lui et Wira.

Or, Aren croyait encore aux signes. Il y croyait et en tenait compte, car la seule fois, où il avait refusé de les voir, ça lui avait coûté très cher. Vraiment très cher. Il avait mis des siècles à s'en remettre. Et même encore aujourd'hui, il lui restait une rémanence de cette douleur comme un écho qui résonnait en lui. Un avertissement.


De notre sangWhere stories live. Discover now