35 / Le rituel

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De nouveau, le monde de Camille vacillait. Qui croire ? Que croire ? Où était la vérité ? Y en avait-il même une ? Et cette vieille folle dans son fauteuil qui continuait de la fixer de son regard laiteux ! Et ce garde qui ne la lâchait pas ! Et les autres qui continuaient à s'activer dans son dos sans qu'elle sache pourquoi !

Camille aurait voulu sortir de cette pièce. Elle voulait retrouver l'air libre ! Elle voulait oublier ces derniers jours, se réveiller et répondre à M. Shitake que, non, elle ne pourrait pas dépanner au restaurant un jeudi soir. Elle voulait dire non à la soirée poésie et au week-end camping. Elle voulait remonter encore plus loin et ne pas avoir aidé Lara à peine arrivée à la fac. Pouvait-elle remonter plus loin ? À la confrontation dans la cave ? À son arrivée dans cette cité maudite ? À ce moment fatal où ses parents étaient partis voir un concert en la laissant seule à la maison, ignorant qu'ils allaient mourir dans la carcasse carbonisée de leur voiture accidentée ? Elle voulait effacer tout ce qui dans sa vie n'allait pas. Mais est-ce que cela ne revenait pas à effacer l'intégralité de son existence ? Elle soupira de rage.

Camille ne pouvait pas revenir en arrière. Une fois de plus, elle était bien là et elle devait se débrouiller avec ce que ses choix et ses non-choix lui imposaient. Elle n'avait pas assez d'éléments pour comprendre objectivement la situation, mais elle se souvenait d'une chose : il n'y avait pas de guerre juste, pas de combat sans victime collatérale. Alors, quelle que soit la situation réelle, elle ne voyait que deux choses : elle était prisonnière de personnes dont elle n'appréciait pas les procédés, et Sola, celle qui, par deux fois, lui était venue en aide, avait été salement battue et était enfermée dans une cage ! Une cage ! Quoi qu'elle soit, vampire ou non, elle était en mauvaise posture et semblait celle qu'il fallait protéger des fous qui la torturaient.

Camille se concentra sur ses possibilités. La colère ne mènerait à rien. Il fallait qu'elle les amadoue, qu'elle suggère l'idée qu'elle avait besoin d'eux, qu'elle voulait rejoindre leur rang pour y trouver la protection nécessaire. Et quoi de mieux pour cela que de feindre la faiblesse et la peur. Ça, elle savait faire, même si elle n'avait pas pratiqué depuis très longtemps le mensonge à un tel niveau, les vieux réflexes allaient se remettre en place.

La jeune femme arrondit son dos, se mit à trembler et à bafouiller. Elle chancela sur son tabouret, et les mains de son garde la rattrapèrent avant qu'elle n'en tombe. Les yeux mi-clos, elle entendit Antoine plaider sa cause auprès du Commandeur qui accéda à sa demande. Elle sentit qu'on la transportait sur la banquette, qu'on lui détachait les mains, qu'on voulait lui donner à boire.

— Antoine ? questionna-t-elle dans un murmure à peine audible.

— Je suis là, Camille.

— Je suis désolée.

— Désolé pour quoi ?

— D'avoir douté de toi. De m'être moquée... d'avoir été aveugle...

— Ça n'est rien, Camille. Ça n'est pas facile à avaler comme pilule. Je le sais. Nous, nous baignons dedans depuis l'enfance. Toi, tu as été aveugle durant 18 longues années. Maintenant, il faut que tu réapprennes à voir le monde qui t'entoure. Ce ne sera pas facile, ni immédiat.

— Je veux partir d'ici. Je ne veux plus la voir, murmura-t-elle en s'agrippant à Antoine, le visage effaré vers Sola, qui accusa le coup en se rencognant contre le fond de sa cage.

— Elle ne peut plus rien te faire, Camille. Elle va mourir.

— Mourir ?

— Oui. Nous sommes là pour donner naissance à un nouvel Oracle.

— Je ne comprends pas.

— Antoine. Laisse-moi lui parler, veux-tu ? dit alors le Commandeur avec une étrange sollicitude dans la voix.

De notre sangWhere stories live. Discover now